L’exposition en 9 minutes et 43 secondes #5; Surréalisme au féminin ?

Musée Montmartre – Jardin Renoir

PAR BENOÎT GAUSSERON

L’exposition en 9 minutes et 43 secondes. En hommage à Anna Karina, Sami Frey et Claude Brasseur qui visitent en courant le Louvre dans « Bande à part » de Jean-Luc Godard (1964), la visite au pas de course d’une exposition par Benoît GAUSSERON.

Jane Graverol (1905-1984) – Le Sacre du printemps, 1960. Huile sur papier. Provenance Barnaerts Auctioeers 09-06-2022

C’est l’une des plus belles expositions du moment dans le magnifique petit musée de Montmartre. « Surréalisme au féminin ? » réunit une cinquantaine d’artistes, des femmes européennes souvent oubliées, et près de 150 leurs œuvres qui courent des années 30 aux années 70.

Alix Agret et Dominique Païni, les commissaires de l’exposition, restent fidèles à l’impératif surréaliste en nous offrant une plongée dans l’inconnu. « Surréalisme au féminin » avec un point d’interrogation parce l’exposition se pose comme une hypothèse : celle d’une expression singulière d’artistes affranchies des politesses de la conscience etlibérées de toutes les oppressions sociales à commencer par celle des représentations. 

 

Liste des artistes. au fond à droite : Dorothea Tanning (1910-2012) Un tableau très heureux, 1947 – Huile sur toile · 91,1 x 122 cm. Signé en bas à droite. Centre Pompidou, Paris, MNAM-CCI

Arrivé avec sa petite histoire de l’art et son appareil critique sous le bras, le visiteur cherche d’abord à comprendre. Las, il rend vite les armes et cède à l’injonction de l’écriture, la vraie, l’intérieure, l’automatique. Il écoute André Breton dans son Manifeste du surréalisme (1924) :

« Placez-vous dans l’état le plus passif, ou réceptif, que vous pourrez. Faites abstraction de votre génie, de vos talents et de ceux de tous les autres. » 

Et il fait, devant chaque œuvre, cette l’expérience du prisonnier qui sortirait de prison pour gagner un pays doux, aérien, presque liquide. 

Sortir de la geôle pour commencer

Jane Graverol (1905-1984) Quelque chose du coeur. 1965 (?). Acrylique sur panneau. Collection Mony Vibescu.

En dérogeant au parcours thématique proposé, on commence par s’arrêter sur l’œuvre de Jane Graverol, Quelque chose du coeur (1965). Des lèvres de femme sont offertes derrière un grillage qui étouffe le baiser au confessionnal et le retient derrière sa jalousie. C’est l’amour empêché ou le désir dicté.Ce baiser ne vous parviendra pas. Pire, il est celui qu’une femme ne peut donner. Jane Graverol semble ici d’accord avec Breton quand il écrit que « la solitude est vaste » et que« nous ne nous rencontrons pas souvent ».

Mimi Parent (1924-2005) Léda, 1997. Assemblage de matérioux mintes boite sous verre Collection Mary Vibescu

Toujours fauteur de trouble, le surréalisme est bien ce projet révolutionnaire qui commence par vous libérer de cette « intraitable manie qui consiste à ramener l’inconnu au connu, au classable », à ce more of the same qui ne laisse de bercernos cerveaux (Manifeste du surréalisme encore).

Josette Exandier nous met en boîte dans La très chère était nue (1995) et La Caresse (1999). Ici, une mythologie en trois dimensions donne à voir un Apollon condamné à aimer et uneDaphné destinée à dire non. Là, une main gantée de cuir sepréserve de ce qu’elle caresse.

Valentine Hugo (1887-1968. Le Rêve du 21 décembre 1929, 21 décembre 1929 Mine de plomb sur papier Collection Mony Vibescu (détail)

S’échapper et faire un pour finir

Après les désirs enfermés et les corps attachés, on prend la fuite. Jacqueline Lamba, qui fut mariée avez Breton en 1934, peint cette La femme blonde (1930) : un corps sans visage lévite dans une atmosphère privée d’horizon ; la chevelure fond dans une mer de nuages. Elle ne vient pas du ciel, elle y va. Dans cette assomption sans Dieu, tout ne fait qu’un, le rêve et le cauchemar, l’eau et le feu du soleil, le corps et le ciel. On rejoint ni cette femme et son paradis gazeux, emporté par sa traîne immense comme un continent. Avec elle on se prend à croire que la lune est en plein soleil.

Jacqueline Lamba (1910-1995). La Femme blonde, 1930. Hule sur bois. Collection Guy Ladrière. Ancienne collection Charles Ratton

Le corps était entre ciel et terre. Il finit par surmonter toutes les oppositions stériles entre le corps et la nature. Un sein, une hanche ou une cuisse deviennent une île avec IthellColsuhoun et sa Cathédrale engloutie (1952) sans trop savoir qui du corps ou de la terre a mangé l’autre.


Cette nature, supposée extérieure à soi à tel point qu’on l’appelle environnement, change de dimension. Voilà qu’elle prend naissance dans le corps même de la femme. Faune et flore viennent du dedans. Ithell Colquhoun, dans sonAutumnal Equinox (1948) transforme ainsi un visage, un sein ou un utérus en serre à fleurs. Dans cette confusion des genres et surtout des espèces, le végétal fait son lit dans la matrice.

 

Cette exposition est une ode aux mélanges aqueux et aux oxymores vivants. Celui des sexes avec Claude Cahun, qui opte dès 1917 pour un genre sexuel neutre : elle le dit ici en superposant les identités, le beau et l’effrayant, l’animal et l’humain, une main et une falaise de roche, du sable et des masques dans ses tirages argentiques des années 30. C’est Breton que l’on entend encore, lui qui nous invitait à nousdépartir de ce qui s’impose avec la force des fausses évidences et écrivait : “Cet été les roses sont bleues ; le bois c’est du verre.”

Suzanne Van Damme (1901-1986) Couple d’oiseaux anthropomorphies, 1946. Huile sur panneau. RAW (Rediscovering Art by Women

Tout se mélange. Tout se transforme aussi. Le titre de Nora Mitrani, Des chats et des magnolias (1956), sonne comme une chanson et le prouve. Deux oiseaux sont au pas et muent en temps réel. Les corps physiques ne sont plus dociles ni à la taxonomie des espèces ni à l’assignation des genres. On croirait presque une application de la physique quantique avec ses phénomènes subatomiques de superposition et d’entrelacement. A peut être B et réciproquement.

 

Il y aussi Dora Maar, Hélène Vanel, Mimi Parent, Sonia Mossé, Marion Adnams, Marianne Van Hirtum ou Aude Elleouet, la fille d’Andre Breton, et tant d’autres. 

 

Atelier de l’appartement de Suzanne Valadon et Maurice Utrillo

Nous quittons ces artistes, qui nous ont toutes surpris etbrusqués, avec l’âme paisible de ces enfants de Breton qui,

« Chaque matin (…) partent sans inquiétude ».

Parallèlement à l’exposition, la Cinémathèque française organise une rétrospective en juin 2023 : «Quand les surréalistes allaient au cinéma» et proposera les principaux films réalisés par des cinéastes qui se sont réclamés de la lettre et de l’esprit du mouvement, et quelques autres aimés et chantés par les poètes surréalistes. Une rétrospective de la cinéaste expérimentale américaine Maya Deren accompagnera ce cycle.

www.cinematheque.fr

Vue du Jardin Renoir avec la balançoire en référence au tableau peint par Auguste Renoir en 1876 dans ce jardin et acheté par Gustave Caillebotte.

Surréalisme au féminin ?

Jusqu’au 10 septembre 2023 

Musée de Montmartre Jardins Renoir

12, rue Cortot – 75018 Paris Tél. : 01 49 25 89 39 infos@museedemontmartre.fr

Sur place dans le jardin : le Café Renoir

Commissariat général :  Alix Agret & Dominique Païni

 

 

 

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