Vuillard et le japonisme
Fondation de l’Hermitage, Lausanne

Il suffit parfois d’un petit tableau et d’un bel écrin de verdure au bord d’un lac pour susciter une grande exposition. Je me trouve à Lausanne, à la Fondation de l’Hermitage domiciliée dans cette grande maison construite pour le banquier Charles-Just Bugnion et son épouse Jeanne-Marie, ses grandes baies vitrées inondant de lumière l’édifice qui surplombe la ville avec côté jardin, cette vue imprenable sur le lac. Le tableau en question est le legs de Lucie Schmidhery en 1998 un petit paysage peint par Édouard Vuillard (1868-1940), «La maison de Roussel à la montagne vers 1900. », cette maison est celle de la soeur de l’artiste, épouse du peintre Ker-Xavier Roussel.

Le legs de Lucie Schmidhery
Le parti-pris de cette exposition est de souligner les codes de représentation de l’art japonais à travers l’oeuvre de Vuillard tout au long de sa vie, l’influence de ces estampes par les maîtres du genre, célébrités considérées comme des dieux au Japon, je pense au légendaire Hokusai. Fin XIXe siècle, l’art japonais s’exporte très bien grâce aux marchands Bing ou aussi Tadasama, les nabis sont enthousiastes, Vuillard est celui qui a constitué la plus grande collection d’estampes ukiyo-e, qu’il punaisait simplement sur ses murs, acquises très souvent au Bon Marché ou au Printemps, il possédait aussi le volume 6 de la Manga de Hokusai. Une époque révolue où les prix étaient très abordables, il y a un peu plus d’un mois, la grande vague de Katsushika Hokusai (1760-1849) a atteint 800000 euros aux enchères chez Christie’s.


Huile sur carton. 21×17cm. Musée d’Orsay, Paris, dation 1990
C’est la première fois qu’une exposition sur l’artiste autour de ce thème est présentée. On peut découvrir 189 œuvres, peintures de Vuillard et estampes japonaises côte à côte sur les cimaises avec aussi des objets exceptionnels comme ce paravent de la fin du XVIIe siècle ou encore ce fascinant masque Magojiro. De nombreux prêteurs privés et institutionnels ont été sollicités, le musée d’Orsay a confié 6 tableaux et le musée Jenisch à Vevey, 57 estampes.

Dialogue entre Vuillard et l’art japonais

L’exposition fait dialoguer l’art japonais et l’œuvre de Vuillard , éclairant . l’évolution subtile de son art tout au long de sa vie, à l’inverse de James Tissot qui insert dans ses peintures des objets japonisants, habille ses modèles de kimonos, Vuillard distille une atmosphère, un langage. Coïncidence, la date de naissance de Vuillard correspond au début de l’ère Meiji.
Japonisme
Philippe Burty, critique d’art, invente le terme « japonisme » qui s’étend à tous les domaines que ce soit le jardin, la mode, la peinture … Le japonisme va bouleverser les codes de l’art occidental datant de l’antiquité, il entraîne les peintres occidentaux à découvrir d’autres horizons. Vuillard visite l’exposition des estampes japonaises organisée par Siegfried Bing en 1890 à l’école des Beaux-arts. Il appartient déjà au mouvement nabi, sans jamais copier cet art japonais il va l’intégrer dans son art en en tirer plusieurs enseignements. Que ce soit le manga japonais, les paravents à la mode déjà au XVIIIe siècle puis massivement importés au 19e au format vertical avec une lecture de droite à gauche du sujet.


Collection Pierre Neumann ; A droite : Kongo Magojiro (1538-1564)Magojiro, masque blanc, représentant une femme jeune et séduisante, version sculptée par Taniguchi Akiko en 1983. Bois peint. 21 × 13 cm. Collection particulière
1900, exposition Universelle
En 1900 a lieu l’exposition Universelle avec la présence du palais japonais, Vuillard découvre la cérémonie du thé, les kakémonos et les arts anciens du pays du Levant. Il voit un spectacle de La Geisha et le chevalier au théâtre de l’Athénée, mis en scène par Sada Yacco et repris par Loïe Fuller.
“Des puzzles de motifs décoratifs”
Une oeuvre changeante, les contours du début très dessinés de Vuillard disparaissent et font place à des surenchères d’étoffes, de décors, de papiers peints, des images de scènes intimes construites comme “des puzzles de motifs décoratifs” expression employée à juste titre par la directrice des lieux, Sylvie Wuhrmann, à l’exception de ce tableau si singulier « Au lit » de 1891, très différent dans sa composition. Plus tard, il s’ouvre vers l”extérieur, la nature, les bords de mer l’inspirent en harmonie avec les paysages des estampes. Ce grand tableau de sa nièce Annette sur la plage, rappelle la Courtisane devant un temple de Kunisada, même pose, même grande étendue de sable, deux compositions très semblables.

Les amis
Plusieurs peintures des amis de Vuillard, du mouvement nabis (“prophètes” en Hébreu) formé autour du “Talisman” de Paul Sérusier sont également exposées dans une salle.
Maurice Denis, l’un d’eux, a beaucoup écrit sur la peinture, Marina Feretti, co-commissaire de l’exposition nous rappelle cette phrase très marquante qu’il a écrit juste après sa visite de l’exposition japonaise de 1890 aux Beaux-Arts.
« Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées.»
Maurice Denis (1870-1943) Art et Critique, 1890

A ne pas manquer : les “Trois jeunes princesses” une toile peinte par Maurice Denis datant de 1893.
Les Nathanson vont beaucoup aider Vuillard, ce couple si à la mode Thaddée, propriétaire de la Revue Blanche et sa femme Misia que Vuillard adore, muse de nombreux artistes et qu’on retrouve très souvent dans ses peintures. Il aime aussi se promener dans la campagne vaudoise avec son ami Vallotton.

En haut des escaliers je découvre ce grand tableau ovale montrant le salon de thé, le grand Teddy avec ce décor art déco de Franck Jourdain et toujours cette influence japonaise, au premier plan un service à thé. Vuillard, à la demande de Jean Schopfer (Morges 1868 – Paris 1931), connu comme champion de tennis sous le nom de Claude Anet, dessine le motif de son service de table en porcelaine Haviland à l’occasion de son mariage en 1895 avec Mrs Alice Nye Wetherbee .

Passionné par le spectacle il collabore avec des metteurs en scène, il réalise des affiches, des décors, on peut voir le portrait d’une femme au col de fourrure qui serait celui de l’acteur Coquelin, la manière de dessiner les traits du visage est très proche d’un portrait d’acteur de Kabuki qui joue avec l’expressivité du visage.

Très agréable de se promener dans ces salons qui se suivent et découvrir cette peinture intimiste et ces estampes japonaises de toute beauté. La deuxième partie de l’exposition se situe au sous-sol, vaste salle où l’on découvre d’autres merveilles et une série rare réalisée au Japon de photographies par Adolfo Farsari (1841-1898), rehaussées de couleur et appartenant à la collection Crispini,

Vuillard et l’art du Japon
Jusqu’au 29 octobre 2023
FONDATION DE L’HERMITAGE
Route du Signal 2 -1018 Lausanne – Tel : +41 (0)21 320 50 01
Commissariat :
Marina FerrettiDirectrice scientifique émérite du Musée des impressionnismes Giverny, et commissaire scientifique
Sylvie Wuhrmann
Directrice de la Fondation de l’Hermitage
Corinne Currat
Conservatrice adjointe de la Fondation de l’Hermitage
Photo : couverture du catalogue : sous la direction de Marina Ferretti Bocquillon, Sylvie Wuhrmann et Corinne Currat, publié en coédition avec Snoeck, à Gand


Un commentaire
christinenovalarue
🧡🩵💛