Arles, au pied des arènes, la Fondation Thalie

La Fondation Thalie créée en 2014 par Nathalie Guiot inaugurait un nouveau lieu au pied des arènes à Arles deux jours avant le lancement des Rencontres de la photographie 2023.
Cet évènement arlésien était très attendu dans ce bel hôtel du XVIIIe siècle au centre d’Arles, entièrement restauré dans les règles de l’art, dans cette ville unique avec ce passé historique et tous ces témoins de l’antiquité romaine, son théâtre antique, ses arènes, la nécropole des Alyscamps ou encore les cryptoportiques sous la place du Forum.
L’artiste-designer Jeanne Vicerial et la photographe Leslie Moquin ont été invitées à investir ce nouveau lieu par Nathalie Guiot.

Elles se sont rencontrées toutes les deux, lorsqu’elles étaient pensionnaires de l’Académie de France à Rome, à la Villa Médicis, en 2020, une année très particulière, pendant le confinement. Jeanne utilisait les fleurs fanées du jardin pour créer des parures dont elle se recouvrait. Leslie intervient à ce moment là, monte un studio photo, et, pendant 40 jours, elle immortalisera ces oeuvres éphémères, leur quarantaine vestimentaire. C’est ce travail qui est montré hors les murs à la Fondation Thalie dans l’exposition Persephone, à Arles, le temps des Rencontres, jusque fin septembre .
On y découvre aussi les sculptures iconiques de Jeanne, la gisante exposée auparavant dans la basilique de Saint Denis et d’autres sculptures vestimentaires de la série des « Vénus ouvertes » composées de fils et cordes noir tissés sans couture et de fleurs séchées de la Villa, une réinterprétation de la Venerina de Clemente Susini, pièce emblématique de l’histoire de la représentation anatomique. Soirées de performance et lectures étaient au programme autour de cette gisante si fascinante de Jeanne Vicerial lors de ce week-end d’ouverture, nous avons pu suivre la danseuse Julia Cima évoluant dans une danse envoutante jusqu’au pied des arènes et écouter clamer la poésie de l’auteur syrien Adonis par Véronique Caye.

A l’occasion de la restauration de cette maison, plusieurs artistes ont répondu à l’invitation de Nathalie Guiot et ont réalisé des oeuvres : une mosaïque de Rina Banerjee (voir photo), Soleil Blanc ,une tenture dans la cour d’Adrien Vescovi créée à partir de textiles recyclés, la légende de la Tarasque interprétée à l’intérieur d’une cheminée par Sylvie Auvray sont à découvrir lors de votre visite.
6 questions à Nathalie Guiot, Jeanne Vicerial et Leslie Moquin sur l’exposition Persephone
Florence Briat Soulié : Comment est né ce nouveau projet arlésien de la Fondation Thalie ?
Nathalie Guiot : J’adore cette ville, cela fait des années que je viens, j’ai eu un coup de coeur pour cette maison, et je poursuis ce dialogue avec des femmes artistes exceptionnelles que j’aime et que je souhaite inviter et dont je défends les convictions avec cette fondation. Jeanne Vicerial dans sa pratique défend cette idée de lenteur, de l’intelligence de la main, de la défense d’une certaine forme de ligne qui combine à la fois le côté innovation, un certain savoir-faire et cette vraie singularité avec les matériaux qu’elle utilise, le fil et la corde. J’ai beaucoup aimé son travail qui résonne assez bien à Arles, avec plusieurs portes d’entrées historiques, le patrimoine greco-romain avec ces sépultures car dans son oeuvre il y a ces gisantes montrées à la basilique. Il y a aussi cette idée de confinement qui nous a beaucoup marqué et ces photos m’ont énormément. Elle a réussi a donner de la joie chaque jour avec ces couleurs, ces fleurs et ce pouvoir de réinventer un regard sur le monde.

FBS : Jeanne, tu as rencontré la photographe Leslie Moquin lors de ta résidence à la Villa Médicis, peux-tu nous dire quelques mots sur votre collaboration ?
Jeanne Vicerial : le projet de quarantaine vestimentaire est né de l’injonction du confinement, nous avons été confinées à Rome, à la Villa Médicis qui n’est pas un lieu anodin, puisqu’il s’agit aussi d’un musée et que les musées étaient fermés. Il y avait cette lourdeur assez atroce de ce qui se passait avec un décalage de trois semaines avec la France. Tous les matins on pouvait lire le nombre de morts dans les journaux. Et très rapidement, j’ai eu un problème de livraison de matériaux, un problème avec l’ingénieur qui devait m’aider et donc je me suis retrouvée dans cette situation où je ne pouvais plus travailler sur d’autres corps humains que mon propre corps en utilisant les matériaux disponibles. J’ai commencé à cueillir des fleurs et à faire des photos en faisant des selfies avec des marguerites que j’avais cueillies et à les retranscrire d’une manière poétique par une publication sur Instagram pendant 40 jours, je m’étais fixé cet objectif pour documenter ce travail là et donner un accès aussi à ce musée. Mais très rapidement cela est devenu compliqué de faire tout toute seule et la photographe Leslie Moquin en résidence à la Villa a rejoint le projet au bout d 3e ou 4e jour. A nous deux, nous avons monté un studio photo, nous sommes devenues tout à la fois, costumière, styliste, maquilleuse, designer… et nous avons réalisé 250 clichés et sélectionné 40 photographies. C’est un projet qui n’aurait jamais pu voir le jour autrement que pendant le confinement car les jardiniers sont allés aussi se confiner au bout du 3e jour après avoir tondu un matin la pelouse, ils m’avaient laissé des cercles entiers de marguerites à disposition, avec cette autorisation de les cueillir sous-entendue et j’ai voulu aussi honorer cette attention.

FBS : Leslie, pourrais-tu me dire ce qui t’a plu dans ce travail à deux ?
Leslie Moquin : Au départ, c’est la beauté du travail et la personnalité de Jeanne qui m’ont décidée à la rejoindre sur le projet de la quarantaine, lorsqu’elle me l’a proposé après avoir photographié elle-même ses créations pendant 4 jours.
Ensuite, ce qui m’a plu, c’est l’énergie que nous avons déployée pour tenir le rythme du partage quotidien sur instagram et l’émulation que cela a généré en termes créatifs, l’engouement des gens pour le projet, la relation créée avec Jeanne.
FBS : Leslie, comment as-tu procédé, quelles sont tes inspirations ?
L.M. : J’ai rapidement proposé à Jeanne que l’on travaille en studio, pour homogénéiser la série et pour nous concentrer sur le stylisme, les poses, les lumières etc. J’ai aussi proposé à Jeanne d’oser des fonds de couleurs, qui correspondent plus à mon univers que le noir et blanc qui était plutôt la signature de Jeanne. Mes inspirations étaient variées, et la direction choisie dépendait des pièces vestimentaires mises en scènes. J’avais parfois en tête les portraitistes de cour, façon William Segar, pour le cadre serré, les poses etc. J’ai toujours dans un coin de la tête les images un peu burlesque de William Wegman, qui convoquent le costume et le travestissement mais aussi une forme d’humour, comme peut le faire la quarantaine. Je ne cueillais pas les fleurs avec Jeanne, le processus de création des pieces vestimentaires lui appartenait complètement. Nous faisons ensemble le stylisme en studio ensuite avec les pièces. Nous avons en effet d’autres projets ensemble, en tous cas nous aurions du plaisir à retravailler toutes les deux. Rien de très précis encore.

FBS : Jeanne, qu’est-ce qui t’attache à cette ville, pourquoi as tu eu envie de répondre à cette invitation ?
J V : Je suis venue visiter cette maison à l’invitation de Nathalie, un lieu intime mais qui devait ouvrir au public, il y avait ce rapport intimité/extérieur et cela m’a paru évident très vite de repenser à ce travail de la Villa Médicis qui était très intime et aussi tourné vers l’extérieur chaque jour. Arles est un lieu de la photographie, Leslie avait fait ses études à Arles. Tout cela a fait résonner la proposition de la quarantaine vestimentaire et par ailleurs elle questionne sur l’histoire, la représention du corps et celle de la mort et notamment avec une ville comme Arles où existe une culture de toutes ces questions avec les alyscamps, les sarcophages et c’est aussi une petite Rome. Assez rapidement, j’avais l’impression de naviguer dans cette ville, je suis aussi née pas très loin d’ici à l’Isle sur la Sorgue.
FBS : Nathalie, peux-tu me dire deux mots sur l’actualité de la fondation ?
N G : L’exposition Persephone est ouverte sur réservation sur le site de la Fondation jusqu’à fin septembre. Nous tenons vraiment à accueillir les visiteurs comme dans une maison, leur parler du projet de la fondation et de notre programmation de rentrée. Fin août nous serons présents à nouveau lors du festival Agir pour le vivant, avec cet engagement que nous avons vis à vis du climat, avec aussi ce podcast Créateurs face à l’urgence climatique , nous aurons une table ronde autour du thème Art et Sciences avec comme invités Emmanuel Tibloux, directeur de l’ENSAD Paris et Samuel Tomatis qui réalise du mobilier à base d’algues, solidaire des énergies fossiles. Jeanne est aussi parti prenante de cette chaire écodesign que j’ai initiée aux Arts-Déco. Puis il y aura Art-O-Rama, avec l’artiste invitée en résidence, Elise Peroi. On aimerait bien avec Jeanne repenser pour le week-end de clôture à une programmation autour de lectures, ce fut un tel moment de cérémonies avec cette performance de la danseuse et le lendemain, de se retrouver à travers son oeuvre lors de ce premier week-end à clamer de la poésie d’Adonis autour de la gisante, il y avait de belles vibrations.



Croquis de Marie Simon Malet lors de la performance de Jeanne Vicerial à la Fondation Thalie
Jeanne Vicerial (1991, vit et travaille à Paris) est une artiste, chercheuse et designer qui évolue entre l’artisanat, la recherche scientifique, l’art et le design. Diplômée de l’École des Arts Décoratifs de Paris, et doctorante SACRe (Sciences, Arts, Création, Recherche), elle met au point, grâce à un partenariat avec l’École des MINES ParisTech, un procédé robotique breveté permettant de produire des vêtements sur-mesure et sans chute : à la croisée du tissage, du tricot et de la dentelle, elle réalise ses créations sculpturales à partir d’un seul fil recyclé adapté à la morphologie unique de chaque modèle. Parallèlement, elle fonde le studio de recherche et de création « Clinique vestimentaire » après un passage chez Hussein Chalayan. Pensionnaire à l’Académie de France à Rome – Villa Médicis en 2019-2020, ses créations ont notamment été exposées au Palais de Tokyo à Paris (2018), à Rome (Villa Médicis et Palais Farnèse, 2020), à la Collection Lambert en Avignon (2021) et ont récemment intégré la collection du CNAP (Centre national des arts plastiques).
Leslie MoquinDiplômée de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles (2013), Leslie Moquin (1986, vit et travaille à Paris) développe un travail mêlant les approches documentaires et poétiques dans une soigneuse équivoque. En 2021, elle reçoit le soutien du fonds d’aide à la photographie documentaire du CNAP pour son travail sur le pistage animal. La même année elle est lauréate d’une résidence de création à bord de la goélette scientifique Tara. Depuis 2022, elle collabore avec l’autrice Fanny Taillandier sur un projet de livre d’artiste (bourse ADAGP SGDL Arcane 2022). Son travail a été exposé aux Rencontres d’Arles (2013, 2017), au Musée d’art moderne de Bogota, au Palazzo Farnese ou encore à la Villa Médicis à Rome.

Persephone
Jeanne Vicerial et Leslie Moquin
Fondation Thalie, hors les murs
34 rue de l’amphithéâtre 13200 Arles
Informations pratiques
Exposition du 3 juillet au 16 septembre 2023
Du mercredi au samedi, de 14h à 18h sur réservation en ligne exclusivement.
Cette exposition participe au programme pédagogique du ministère de l’éducation Une Rentrée en Images dans le cadre des Rencontres de la Photographie d’Arles.
Arles : Festival Agir pour le Vivant du 21 au 27 août 2023.
Marseille : Art-O-Rama, 30 août-3 septembre 2023.
Artiste invitée: Elise Peroi, sortie de la revue Traversée.
Bruxelles : exposition PANORAMA Eva Jospin jusqu’au 23 septembre 2023;


Un commentaire
christinenovalarue
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