Irak 2023, dialogue de voyage – # 2 Mossoul, la renaissance de la ville martyre
PAR BENOÎT GAUSSERON
ERBIL – MOSSOUL – BAGDAD
Un père et sa fille, Benoît et Aimée Gausseron, partagent leur dialogue de voyage en Irak : le père raconte le pays au présent, sa fille en interroge les ruines. Regards croisés sur la renaissance culturelle irakienne par-delà le désastre des armes.
👁️ Film #2
# 2 Mossoul, la renaissance de la ville martyre

Mossoul, cité de Ninive sauvée par Jonas de la colère de Dieu, Mossoul, capitale mondiale des atrocités d’un autoproclamé État islamique de l’Irak et du Levant, Mossoul, deuxième ville d’Irak à l’ouest d’Erbil vers laquelle nos quatre Toyota blanches aux couleurs des Nations Unies avancent en ce matin d’août 23.

Il fait 45 degrés. Les contrôles aux check points, les chicanes de bétons et l’escorte de l’armée irakienne rappellent qu’il est des cités qui se donnent le bordel pour destin dans l’espoir que Dieu revienne sur l’ardeur de sa colère et accorde son salut comme il le fit dans l’Ancien testament (Jonas 3, 5-10) :
« A la prédication de Jonas, les gens de Ninive crurent en Dieu (…) Aussi Dieu se repentit du mal dont il les avait menacés, il ne le réalisa pas ».
Ancien testament (Jonas 3, 5-10)
En 2014, Jonas n’a pas su retenir le bras des soldats de Daesh. Ils ont décapité en public, crucifié même, jeté des homosexuels du haut des immeubles du centre ville, lapidé hommes et femmes pour de menus larcins, coupé des mains pour des factures d’eau et d’électricité impayées, vendu des femmes et des jeunes filles yézidis ou chrétiennes comme esclaves sur le marché du centre ville (entre 35 et 138 euros, pas plus de trois esclaves par acheteur sauf pour les étrangers), n’hésitant pas à inaugurer le XXIème siècle avec les pires atrocités du XXème.

Et ils se sont, sans attendre, attaqués à la culture, aux bibliothèques, au musée, au tombeau de Jonas, aux temples yézidis et aux mosquées et ont utilisé les églises pour en faire des tribunaux ou des prisons. Parce qu’il fallait effacer l’histoire. Piller pour de l’argent, les vikings l’ont fait du milieu du IXème au XIème siècle en Europe de l’Ouest. Brûler une cité par vengeance, Achille y est parvenu pour le compte d’un roi de Sparte, Ménélas, jaloux de son Hélène perdue. Détruire pour réécrire l’histoire, les deux totalitarismes du siècle précédent s’y sont employés jusqu’au dernier jour. A Mossoul de 2014 à 2017, Daesh a tiré un trait sur la mémoire d’une ville pour en effacer l’esprit.


Une structure métallique a été posée pour soutenir le dôme et permettre la reconstruction des murs. A gauche, les marques sur les murs rappellent que les archéologues ont retrouvé des charges explosives posées par Daesh à l’extrême fin de la guerre. La salle de prière de la Mosquée Al-Nouri où des versets du Coran et un motif floral décoratif, singulier pour l’architecture de l’époque, ont été endommagés par Daesh.
Rakan Al-Allaff, ingénieur originaire de Mossoul et désormais responsable local pour l’Unesco, se souvient de son retour dans la ville après la guerre :
« J’ai pleuré en arrivant ici avec le gouverneur de la province, des snipers étaient encore sur les toits, il n’y avait que des ruines et des cadavres jonchaient les rues. Mossoul était l’une des villes au monde dans laquelle la coexistence pacifique de toutes les religions était possible. Nous vivions ici comme des frères. C’est cet esprit que Daesh a cherché à effacer en détruisant tout, y compris les mosquées. En trois ans, ils n’ont rien construit, à part un bout de route.»
Rakan Al-Allaff, ingénieur, responsable local pour l’Unesco
Dans son petit bureau de la mosquée Al-Nouri, Rakan est convaincu que le programme de reconstruction du patrimoine historique lancé par l’Unesco en 2018, n’est pas le rêve naïf d’Occidentaux romantiques. « Faire revivre l’esprit de Mossoul » exige de redonner vie aux lieux d’art et de foi de ses habitants et de le faire avec eux : la mosquée Al-Nouri et le minaret Al-Hadba du XII ème siècle, les églises Al-Tahira et Al-Saa’a du XIXème, les 125 maisons d’habitation de la vieille ville ou l’école Al-Ekhlas. Plus de 400 travailleurs et experts locaux, dont un bon tiers de femmes, sont mobilisés pour mener à bien ce programme.

Comment reconstruire ? Et quelle date de référence retenir ? Marc Yared, l’architecte de l’Unesco qui nous accompagne, répond simplement : parce qu’ils ont été frappés ou endommagés par Daesh, une sculpture, un bas relief, un pan de mur acquièrent une valeur particulière. L’idée ne consiste donc pas à gommer ce qui leur advint entre 2014 et 2017, mais bien plutôt de les rénover en conservant leurs stigmates.
Le minaret Al-Hadba redeviendra le symbole d’une ville debout.
Édifié en 1172 au sein du complexe religieux qui comprenait la mosquée Al-Nouri, il s’élevait à 45 mètres de hauteur. Ce minaret incliné appelé « la bossue » sera reconstruit à l’identique ou presque : il ne penchera pas de 2,5 mètres mais de 1,6 mètre. Plus de 44 000 briques ont été retrouvées et seront utilisées telles quelles ou recyclées. Les ouvriers locaux sont formés dans cette perspective aux techniques de construction et de décoration utilisées à l’époque. Les quatre faces retrouveront ainsi chacune leur décoration spécifique.

Du minaret, emblème de la ville qui figure encore sur les billets de 10 000 dinars irakiens, il ne reste que la base. Une reproduction à l’identique à plus grande échelle, à côté du Minaret, rappelle le défi technique auquel sont confrontés les architectes et ouvriers du projet.
La mosquée Al-Nouri.
En 2014, Daesh y a hissé son drapeau, son chef Abou Bakr al-Baghdadi y a proclamé le califat, ses soldats l’ont minée de douze charges explosives un mois avant la fin de la guerre. Certaines ne se sont pas déclenchées et ont été retrouvées dans les murs. Ils sont aujourd’hui entre cinquante et cent, chaque jour, chrétiens et musulmans, femmes et hommes, à rebâtir en plusieurs années ce que Daesh a détruit en un jour. Les travaux ont permis de mettre au jour un incroyable couloir souterrain d’accès à la salle de prière avec son réseau d’eau pour les ablutions dont l’analyse scientifique est en cours. Les traces des coups de burin sur les bas reliefs de la salle de prière seront en partie conservées.

Au couvent Notre-Dame de l’Heure, les cloches sonnent de nouveau et les aiguilles de ses quatre horloges marquent le temps du quartier.
Construit au XIX eme siècle à la fois par des Chrétiens et par des Musulmans, le couvent a servi de prison et de lieu de tortures à Daesh. Première école primaire accueillant des filles et première école d’institutrices de Mésopotamie, le lieu sera rendu au culte et à l’accueil du public dans quelques mois. Ses cloches d’abord. Les premières, offertes par l’impératrice Eugénie venues de France par bateau et en chameau, ont été détruites. Les nouvelles viennent de Normandie, la dernière à été installée hier, toutes sonnent aujourd’hui. Elles s’appellent Raphaël, Gabriel, Michel et Marie, quatre noms partagés par Chrétiens et Musulmans. Son horloge ensuite. Quatre cadrans veillent désormais sur la ville.

Le clocher de Notre Dame de l’Heure. La présence de l’horloge a donné son nom au quartier alentour; véritable repère dans la vieille-ville.
Chrétiens et Musulmans travaillent ensemble sur le chantier
Les Dominicains, propriétaires du site, ont décidé de laisser sur les murs de la salle d’accueil des visiteurs deux drapeaux de Daesh, là aussi pour que l’architecture ne perde pas la mémoire de l’occupation. Pour Paula Ion, responsable du site pour l’Unesco, le chantier est à la fois culturel et social. Chrétiens et Musulmans travaillent déjà ensemble sur le chantier. Elle nous rappelle que le sanctuaire de la Vierge Marie est devenu un lieu de prière pour des femmes venues de Mossoul qui ne pouvaient pas avoir d’enfants, tant musulmanes que catholiques. Au détour de nos échanges, Ritika, également chargée de la conduite des travaux sur le site, souligne en souriant qu’il serait bien plus facile de construire à partir de rien.

L’église Al-Tahera, inaugurée en 1862, a été gravement endommagée en 2017.

D’anciennes tombes conservent les stigmates du passage de Daesh. C’est voulu. Les équipes de l’Unesco, en accord avec les habitants, tiennent à garder des traces de ce moment de ‘histoire de la ville. De la même manière, les impacts de ball sont laissés apparents grâce à la pose sur les impacts d’un enduit légèrement plus clair.
C’est un entrepreneur irakien qui conduit les travaux sur ce site. Certaines colonnes ont été préservées, d’autres font l’objet de reconstruction. 70% des pièces utilisées ont été retrouvées dans les décombres, nous explique l’architecte en charge du projet. Près de 15 artisans âgés de moins de 20 ans travaillent sur le site et sont formés à des techniques de conservation et de restauration.


Les maisons de la vieille ville sont rénovées une à une et accueillent leurs premiers habitants.
Les 43 premières maisons du patrimoine de la vieille ville sont achevées et progressivement rendues à leurs propriétaires. La réhabilitation et la reconstruction de 75 maisons supplémentaires est en cours.

Signe du renouveau de la ville, les premiers Chrétiens reviennent et le patrimoine culturel, qui pouvait laisser indifférent une large partie de la population et paraître moins important que l’accès à l’eau ou à l’électricité avant 2014, est devenu essentiel. Parce qu’il était sur le point d’être perdu, il n’a jamais paru autant nécessaire :
“C’est lorsque que votre identité est en danger que l’histoire devient vitale”,
explique Marc Yared qui rappelle que le phénomène fut semblable à Beyrouth après l’explosion des entrepôts du port en 2020. Le travail exceptionnel de l’Unesco réalisé à Mossoul avec les habitants démontre que le passé, quel qu’il soit, ne saurait rester lettre morte. Il ne s’agit pas de faire trace – avec l’objectif d’imposer un récit – mais bien de laisser une trace.
“Ce serait bien que l’on parle moins de destruction et plus de reconstruction”,
nous souffle Paula Ion, responsable du site pour l’Unesco,
C’est à cette tâche que se consacrent les équipes de l’Unesco : plus qu’un simple projet architectural, leur travail a à voir avec l’esprit d’une ville. Paula et ses collègues nous partagent les questions qui les animent :
“Arriverons-nous à reconstruire l’esprit de la ville en reconstruisant ces monuments ? Les habitants reviendront-ils ?”
Si la fin des travaux est estimée à décembre 2023 pour les deux églises et juillet 2024 pour la mosquée, leurs effets se font déjà sentir. La vieille ville s’anime, les habitants renouent avec l’histoire, toute leur histoire .


Un commentaire
christinenovalarue
🖤🤍