Paz Errázuriz, Photographier le genre humain 

The gaze of Marie Simon Malet 

A La Maison de l’Amérique Latine

 

Série Sepur Zarco, 2016. Tirages numériques, 2023 © Studio Paz Errázuriz, Santiago

Il y a souvent de belles expositions à la Maison de l’Amérique Latine. J’y passe régulièrement. La Maison occupe l’un des hôtels du Boulevard Saint-Germain, à Paris. Le lieu est confidentiel, beau et paisible; les expositions temporaires qui s’y tiennent offrent l’opportunité de découvrir des artistes latinos-américains peu connus en France. C’est le cas de la photographe chilienne Paz Errázuriz qui présente, jusqu’au 20 décembre, sa première exposition personnelle dans une institution parisienne : 120 tirages issus de quinze séries -dont trois inédites- réalisées sur une quarantaine d’années.

Née en 1944, à Santiago du Chili, Paz Errázuriz est une photographe autodidacte, venue à la photographie dans le contexte brutal de la dictature du général Pinochet (de 1973 à 1990). Selon la commissaire de l’exposition, Béatrice Andrieux, 

« rien ne la prédestinait à la photographie, si ce n’est une soif de connaître les autres, de voir de ses propres yeux la réalité de son pays. »

Paz Errázuriz . La Carlina, Vivaceta – Santiago. Série Manzana de Adán 1987; Tirage gélatino- argentique sur papier baryté de 1989, 36,2 x 24,1 cm. Collection privée, Paris.

« Les Abuelas de Sepur Zarco »

En entrant, je suis aimantée par les portraits photographiques de sa série « Sepur Zarco » : De grands tirages en noir et blanc de femmes guatémaltèques âgées, posant en pied sur le même fond neutre, arborant une pose frontale, sobre. Les photographies ont été prises en 2016. Ces septuagénaires sont dignes et belles; elles attendent justice et réparation. Au Guatemala, on les appelle avec respect,  « les Abuelas de Sepur Zarco ». Ce sont les 15 survivantes d’une petite communauté rurale du Nord-Est du pays qui luttèrent, entre 2011 et 2016, pour faire reconnaître par la cour suprême l’horreur qu’elles avaient subi pendant la guerre civile guatémaltèque (1960-1996). Leur histoire constitue l’un des épisodes tragiques de cette guerre qui dura 36 années et fit 200 000 morts. En 1982, la junte militaire installa un avant-poste à Sepur Zarco où vivait une petite communauté maya Q’eqchi. Les hommes furent enlevés ou assassinés, les femmes violées et réduites en esclavage par des militaires. 

Paz Errázuriz. Maria Ba Caal, 2016. Tirage numérique, 2023. © Studio Paz Errázuriz, Santiago

Elles sont d’une élégance rare dans leurs longues jupes traditionnelles tissées, en sandales et blouses brodées de fils colorés, de dentelle ou de point de croix. Leur présence, leurs regards me bouleversent; j’ai envie de serrer dans mes bras ces femmes qui se tiennent en cercle autour de moi, de les écouter, de rendre hommage à leur courage, à leur force. 

Une éthique du regard

En poursuivant ma visite dans les salles du bas, en découvrant les autres photographies de Paz Errázuriz, je comprends la puissance de son engagement et de son humanité.  

Chaque regard croisé, que ce soient des danseurs de tango, des boxeurs, des lutteurs, des patients d’hôpitaux psychiatriques, des artistes de cirque, les travestis de sa série emblématique,  « La Manzana de Adàn », (La pomme d’Adam,1982-1987) me happe. Oser regarder les yeux dans les yeux les laissés-pour-compte de la société, les marginaux, aller à leur rencontre, les reconnaître au lieu de les ignorer, tel est le projet de Paz  Errázuriz. Il n’y a aucun voyeurisme dans son travail car elle sait que « prendre une photo est vraiment très intrusif et se laisser photographier est très courageux. Il y a un engagement entre les deux parties, une sorte de pacte à ne pas trahir. »

Ne ratez pas ce travail photographique remarquable par son humanité et sa dimension universelle. 

Les thèmes qui ont obsédé la photographe Paz Errázuriz, tout au long de sa carrière, depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, sont d’une troublante actualité. Je vous invite à aller voir son exposition «  Histoires inachevées » car comme le dit Susan Sontag citée à l’entrée : « En nous enseignant un nouveau code visuel, les photographies modifient et élargissent notre idée de ce qui mérite d’être regardé et de ce que nous avons le droit d’observer. Elles constituent une grammaire et, ce qui est encore le plus important, une éthique du regard. » 

Paz Errázuriz. Evelyn – Santiago, 1983. Tirage de 1986. Collection privée, Paris.

Susan Sontag, Sur la photographie, La caverne de Platon, Paris, éditions Christian Bourgois, 2008.

Les vies photographiées par Paz Errázuriz demeurent « inachevées » dans la mesure où elle se poursuivent dans cet autre temps qui est celui de la photographie, par cette transmission du regard de la photographe à notre regard à nous, par la manière dont tous ces regards nous touchent et poursuivent leur vie dans nos cœurs.

Paz Errázuriz

Histoires inachevées (Historias inconclusas)

Maison de l’Amérique Latine

217, bd Saint Germain – 75007 Paris – tel : +33 (0)1 49 54 75 00 – mail :  contact@mal217.org

Commissaire : Béatrice Andrieux. 

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