Lectures choisies ou imposées par l’actualité ?
PAR SEVERINE LE GRIX DE LA SALLE
MARTINEZ-GROS Gabriel- La traîne des empires, impuissance et religions
Un pitch simple, un livre érudit, une plongée dans le temps long de l’histoire, un éclairage pour aujourd’hui et demain.
Comment se crée un empire et pourquoi son déclin donne-t-il naissance aux religions ? Remontant aux sources romaines, chinoises et arabes, l’auteur nous décrit un même mécanisme : pacification aux frontières, puis mise en place de l’impôt permettant le développement du commerce et de services collectifs gérés par l’état, création d’une capitale centre de tout, amélioration de la qualité de vie, émergence d’une bourgeoisie cultivée. Bref la promesse temporelle est tenue : prospérité, paix, stabilité. pour tous.
Mais l’empire s’étend : trop de forces armées nécessaires, trop d’impôts pour les entretenir, révoltes, morcellement, fin. Et quand l’empire ne tient plus ses promesses sur terre, il ne reste plus alors qu’à se réfugier vers les quelques sectes, prophètes ou messies les plus convaincants qui promettent le ciel et la vie éternelle, l’empire céleste où coule le miel, où batifolent des vierges, où la zénitude absolue nous apaisera jusqu’à la fin des temps. Invérifiable, mais tentant. Des ruines romaines surgit le catholicisme, les Chinois accouchèrent du bouddhisme, le Califat nous lègue l’islamisme.
A quelles éclosions religieuses s’attendre à la fin de notre empire matérialiste, si d’ici là les religions ne se sont pas entretuées ? A découvrir…

BELEZI Mathieu – Attaquer la terre et le soleil.
Une langue tordue par les flammes, la chaleur, le désespoir, la folie. Des mots qui pleurent pour décrire la misère des premiers colons européens envoyés en Algérie pour biner une terre de sable, de roches et de glace. Des mots qui crient pour nous raconter les sanglantes razzia de soldats français perdus et fous de sang. Un texte qui crisse sous nos yeux :
« un matin, la gueule rageuse de l’enfer qui nous avalait depuis des semaines s’est brusquement refermée. «
L’enfer, si loin. Comme tous les enfers que vivent les pauvres gens.

DA EMPOLI Giuliano- Le Mage du Kremlin.
Traverser le miroir. Un livre haletant et fondamental pour tenter de comprendre la vision russe du monde, ses ressorts fondamentaux, dans un roman documentaire, qui vaut toutes les analyses géopolitiques du moment. Sous la plume de l’auteur, reclus dans la pénombre de sa datcha, dans une confession qu’on ne peut pas lâcher, le principal conseiller – fictif- de Poutine nous livre des clés.
Pour tenter de comprendre ce qui structure ce monde si lointain et pourtant si proche de nos fragiles frontières, il cite Poutine :
« les marchands n’ont jamais dirigé la Russie. Parce qu’ils ne sont pas capables d’assurer les deux choses que les Russes demandent à l’Etat : l’ordre à l’intérieur et la puissance à l’extérieur ».
Tenter de comprendre l’humiliation et la détestation de l’Occident :
« La guerre froide s’est arrêtée parce que le peuple russe a mis fin à un régime qui l’opprimait. Nous n’avons pas été vaincus, nous nous sommes libérés d’une dictature, ce n’est pas la même chose. C’est nous qui avons fait tomber le mur de Berlin, pas eux qui l’ont abattu. C’est nous qui avons dissous le pacte de Varsovie en signe de paix, pas de reddition .Ce serait bien qu’ils s’en souviennent de temps en temps.»
Et il nous fait lire avec des yeux russes la fameuse scène du fou-rire de Clinton à côté d’un Eltsine ivre mort, et ressentir leur honte et leur fureur.
Tenter de comprendre la logique du Tsar :
« la seule arme qu’a un pauvre pour conserver sa dignité est d’instiller la peur. »
Comprendre que la guerre d’Ukraine ne peut s’arrêter ou mal. Comprendre ou plutôt entrapercevoir ce qu’est le pouvoir total, et entendre la prophétie finale et glaciale : tant que le pouvoir est aux mains des humains, il est encore faillible.

KESSEL Joseph – La steppe rouge
Journaliste, romancier, justicier, témoin… Kessel, talent inclassable. Sept nouvelles glaçantes sur l’enfer bolchevique, publiées en 1922. Était-ce le premier à témoigner ? Peut-être. Et ceux qui l’ont lu à l’époque et le lisent aujourd’hui se souviendront longtemps du soleil qui se levait, rouge sur la steppe.
La prière de Fedka le Boiteux résonne encore, la poupée de la fillette perdue remue le commissaire du peuple comme elle nous émeut
« et devant cette espèce de garçonnet souffreteux, le camarade Sokolnikof, communiste éprouvé, enquêteur au tribunal révolutionnaire eut, la première fois de sa vie, l’impression d’être l’inculpé ».
La folie, la faim, le bourreau qui se fait assassin par amour … comment les hommes se font autant de mal ?

Joseph Kessel
La steppe rouge
Folio Gallimard


Un commentaire
christinenovalarue
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