Rencontre olympique entre Mode et Sport au Palais Galliera et au musée des Arts Décoratifs.
PAR MARIE SIMON MALET
Cocteau imaginait « l’Histoire assise, en train de coudre »; cette image s’applique joliment aux deux expositions parisiennes, l’une, au Palais Galliera, l’autre, au musée des Arts décoratifs qui tissent des liens entre mode et sport. Dans la ligne de mire des JO de Paris 2024, elles reviennent sur un phénomène majeur de l’histoire de la mode.
L’appropriation du sport par la mode et sa prégnance dans notre culture sont aujourd’hui si fortes qu’elles laissent difficilement imaginer que la compétition dura plus de deux siècles ! Si en 2024, le sport est à la mode – plus s’il fait la mode -, ces deux expositions nous rappellent tous les obstacles qui ont jalonné cette course à la libération du corps et au triomphe des panoplies confortables, techniques, voire performantes.
Deux expositions en lice donc pour explorer les liens féconds et plus complexes qu’il n’y parait entre ces deux univers. Au musée des Arts décoratifs, « Mode et sport, d’un podium à l’autre » présente, depuis le 20 septembre 2023 et jusqu’au 7 avril 2024, 450 pièces de vêtements et accessoires, photographies, dessins de mode, magazines, affiches, tableaux, objets et vidéos qui mettent en lumière l’évolution du vêtement sportif et son influence sur la mode contemporaine. L’exposition est organisée de façon chronologique et thématique (par discipline sportive) dans les huit salles qui entourent le grand hall reconverti, pour l’occasion, en stade sur lequel parade une mode contemporaine inspirée par l’univers du sport et des exemples de collaborations entre couturiers et labels sportifs. À la collection déjà très riche du musée s’adjoignent les prêts de grandes maisons de luxe et de créateurs ou encore des emprunts au musée National du Sport de Nice, au Musée Olympique de Lausanne.
Dès le 16 juin 2023, le Palais Galliera, lui, avait inauguré son exposition intitulée « La Mode en mouvement », dans les galeries Gabrielle Chanel du rez-de-jardin. Là encore, un parcours chronologique, mais d’ampleur plus modeste, puisqu’environ 200 oeuvres issues de la collection du musée auxquelles s’ajoutent des prêts exceptionnels du patrimoine de Chanel, de la collection Émile Hermès et de la maison Yohji Yamamoto, ainsi que du musée niçois -précédemment cité- retracent, à travers les collections du musée, une histoire de la mode du XVIIIe siècle à nos jours, selon une thématique transversale dédiée au corps en mouvement. Pour des raisons de conservation, l’exposition fait l’objet de trois accrochages :
Accrochage 1 : du 16 juin 2023 au 15 mars 2024
Accrochage 2 : du 20 avril 2024 au 5 janvier 2025
Accrochage 3 : du 8 février au 7 septembre 2025
Echanges et influences
Paris est considérée, à juste titre, comme la capitale historique de la mode et de la haute couture. Néanmoins, pour les vestiaires sportifs, la France doit jouer fair-play :
La société anglaise puis la culture américaine eurent une influence considérable sur la mode. -SPORT n.m Mot emprunté de l’anglais- énonce le dictionnaire de l’Académie française. L’Angleterre est pionnière en terme d’exercices physiques et de jeux de compétition physique. Au XVIIIe siècle, ils sont regroupés sous le mot sports dérivé du vieux français, desport, que l’on pourrait traduire par divertissement, amusement.
Marie-Laure Gutton, commissaire de l’exposition « La mode en mouvement », au musée Galliera, choisit de faire démarrer le parcours au XVIIIe siècle. Sous l’influence anglaise et celle des théories hygiénistes, savants et philosophes soulignent l’importance de la marche et de l’exercice physique pour la santé et condamnent le port du corps à baleines (le corset de l’époque). Un corps moins entravé et une toilette allégée (tout est relatif !) sont recommandées pour ces nouveaux loisirs liés au développement des espaces urbains, des parcs et jardins, de la notion de villégiature qui naît à la fin du XVIIIe siècle. La promenade est une activité valorisée pour une élite qui y voit une occasion de sociabilité. Retrouver la nature, célébrer la vie au grand air, s’approcher « des régions éthérées » (la montagne) où le randonneur est purifié après s’être « promené dans les nuages » ainsi que l’écrit Jean-Jacques Rousseau dans Julie ou la Nouvelle Héloise (1761) impulse une nouvelle dynamique corporelle.
Des équipements improbables
Une garde-robe adaptée à la pratique de l’exercice physique ne se dessine qu’à partir du XIXe siècle mais l’élégance et le maintien priment sur la souplesse et l’aisance, synonymes de relâchement. Lorsque nos lointains aïeux étaient assez intrépides pour pratiquer ces nouveaux loisirs à la mode – qu’il s’agisse d’équitation, de bains de mer, d’excursions sur les glaciers, de lawn-tennis, de chevaucher des vélocipèdes ou de conduire des automobiles à la vitesse « folle » de 10km/heure – ils s’équipaient de vêtements et d’accessoires avec lesquels ils avaient férocement maille à partir. C’était d’autant plus méritoire; spécialement pour les femmes, interdites de pantalon, contraires de monter en amazone, empêtrées de longues jupes et sanglées dans leurs spencers et corsets. Ces expositions sont l’occasion de voir les premiers corsets de sport, costumes de bains, tailleurs… et parmi ceux-ci un costume tailleur d’alpinisme en denim rouge (vers 1900) exposé à côté de hautes bottes en cuir immaculé (1908) dans l’une des vitrines des Arts déco tout à fait stupéfiant.
La culotte de bicyclette fut une véritable révolution et une étape cruciale pour le port du pantalon féminin. Bien que longue et bouffante afin de préserver la pudeur, son « indécence », la confusion des genres par la masculinisation du costume provoquèrent des débats enflammés. Au palais Galliera, une culotte de cycliste en toile de coton blanc côtoie le haut-de-forme d’amazone de la maison Motsch Fils (vers 1905) fait sur mesure pour la princesse Murat. Le chapelier l’équipa d’un lorgnon afin que la cavalière puisse chasser, malgré une vue légèrement défaillante. Dans la même vitrine, les bottes d’équitation de la princesse, réalisées par la maison Peal & Co, sont de véritables merveilles.
Les Années folles sur les chapeaux de roues
« La mode actuelle doit se conformer à la mentalité “sport”. Elle doitrépondre aux exigences de notre vie active »,
proclamait le couturier Lucien Lelong dans Vogue, en mai 1925.
Les Années folles libèrent le corps et les jambes des femmes : le sport, la danse, la vitesse accélèrent le mouvement. Un vestiaire véritablement conçu pour bouger apparaît dans l’entre-deux guerres; que ce soit grâce à l’intervention de sportifs concevant des vêtements plus confortables (notre championne de tennis nationale, Suzanne Lenglen, raccourcissant sa robe- oh ! scandale!- pour le tournoi de Wimbledon, en 1919, le tennisman René Lacoste et son fameux polo créé en 1933), ou par l’intérêt que leur portent des couturiers d’avant-garde, tels que Chanel, Patou (qui collabore avec Suzanne Lenglen), Lanvin, Lelong, plus tard Givenchy chez Schiaparelli pour Schiap-sport, occasion de rappeler que les collab’ entre couturiers et sportifs existent depuis longtemps.
Naturellement, les innovations textiles et techniques ne sont pas oubliées. La maille a droit à une place de choix depuis qu’en 1913, Gabrielle Chanel s’est emparée du jersey, autrefois cantonné à la bonneterie. Elle révolutionne le style dans sa boutique « Couture-Sport » (cf sa carte de visite exposée aux Art déco) de Deauville.
Sportswear gagnant
Il faudra ensuite plus d’un siècle aux tenues sportives pour s’émanciper de la mode. Un autre siècle sera encore nécessaire pour que le sport devienne à la mode. Aujourd’hui, l’hybridation est totale, nos tenues quotidiennes différent de moins en moins des vestiaires sportifs, en témoigne l’écrasante majorité de sneakers foulant le macadam H24. Les collaborations entre créateurs, couturiers et équipementiers sportifs (Yoji Yamamoto lançant le mouvement dès 2003 avec adidas) font équipe gagnante siècle dans l’univers du luxe (de Balenciaga à Off-White, avec récemment les collab’ Gucci x adidas, Jacquemus x Nike, entre autres). Dans chacune des deux expositions, une vitrine est consacrée à la nouvelle icône de la mode : la basket. L’enjeu est immense, en termes économiques et stylistiques. Selon le magazine Vogue, « on a estimé que le marché de la basket atteindrait 85 milliards d’euros d’ici 2025.» Rosalind Jana, Vogue, 30 juillet 2019. Elle aurait mérité une exposition à part entière.
Iconiques sneakers
L’apparition des chaussures de sport est liée à l’invention du caoutchouc obtenu grâce au procédé de vulcanisation, mis au point en 1839 par l’Américain Charles Goodyear. En 1917, l’entreprise américaine Converse lance sa première chaussure montante adaptée pour la pratique du basket-ball : la basket était née ! Qui sait de nos jours, que la Converse Chuck Taylor All Star All fut créée en 1923 par le joueur et entraîneur de basket-ball Chuck Taylor, embauché par la firme ? Je me souviens de la première fois, où adolescente, j’ai eu la chance d’aller à New-York. J’y avais cherché une paire de converses blanches à rapporter à Paris; c’était alors LA chose à faire car on n’en trouvait pas en France; c’était ultra-branché.
D’autres modèles iconiques de baskets ou sneakers sont mises au point par des sportifs. Ainsi, Adidas lance la Stan Smith en 1964 – d’abord sous le nom de son concepteur, Robert Haillet, joueur de tennis français – et la Superstar en 1969, Nike met sur orbite la Air Jordan, en 1985. Progressivement, baskets et sneakers s’immiscent dans le vestiaire quotidien. Les imbrications entre sportswear, streetwear, casualwear ne sont, hélas, pas expliquées.
Dans les années 2000, les maisons commencent à proposer leurs propres modèles. C’est Balenciaga qui impulse le mouvement dans la haute-couture, dès l’été 2004.
Vous l’aurez compris, le sujet est vaste ! Au musée des Arts décoratifs, j’ai eu l’impression d’un véritable marathon; il faut reconnaître que la scénographie est à l’unisson ! Courrez voir l’exposition du palais Galliera avant le premier changement d’accrochage prévu le 15 mars.
Parmi vidéos projetées dans les deux expos, regardez le petit film de Pathé « Madame fait du sport » 1908. Sous l’œil circonspect de son majordome, une grande bourgeoise s’exerce en accéléré : gymnastique avec élastiques (ou « le sandow »), excursion, équitation, nage, marche (le tout jeune footing se pratique en costume tailleur), bicyclette, avant de filer au volant son automobile…Belle époque !
INFORMATIONS
La mode en mouvement
Accrochage 1 : du 16 juin 2023 au 15 mars 2024
Accrochage 2 : du 20 avril 2024 au 5 janvier 2025
Accrochage 3 : du 8 février au 7 septembre 2025
Palais Galliera, musée de la Mode de Paris
10, Avenue Pierre Ier de Serbie, Paris 16e
Commissariat : Miren Arzalluz, directrice du Palais Galliera – Marie-Laure Gutton, responsable des collections accessoires, et l’ensemble des conservateurs, assistés de Samy Jelil – Sylvie Lécallier, chargée des collections photographiques – Nathalie Boulouch, historienne de l’art contemporain et de la photographie, conseillère scientifique
Mode et sport, d’un podium à l’autre
jusqu’au 7 avril
Musée des Arts décoratifs
107, rue de Rivoli
75001 Paris
Commissaire : Sophie Lemahieu, Conservatrice Collections mode et textile de 1947 à nos jours
2 commentaires
Julie Tarneaud
Merci de cet article si détaillé.
Très agréable à lire et précis.
Bravo
Matatoune
Voilà qui donne follement envie d’y faire plus qu’un tour 😉