René Magritte (1898-1973) – “Ceci n’est pas une expo ! “
“Une nuit (…) Je m’éveillais dans une chambre où l’on avait placé une cage et son oiseau endormi. Une magnifique erreur me fit voir dans la cage l’oiseau disparu et remplacé par un œuf. Je tenais là un nouveau secret poétique étonnant, car le choc que je ressentais était provoqué précisément par l’affinité de deux objets, la cage et l’œuf , alors que précédemment ce choc était provoqué par la rencontre d’objets étrangers entre eux.”

©Thegazeofaparisienne
Des mots et des images, le surréalisme en plein soleil, la peinture vache… des mots que j’aime entendre qui m’amusent, m’émeuvent aussi et illustrent la peinture de Magritte, une peinture qui se transforme comme par magie en poésie et inversement la poésie devient peinture.
Impossible de s’ennuyer dans une telle exposition ! nos yeux, notre pensée sont sans cesse accrochés par les paysages, portraits, assemblages . On lit, on regarde “La belle captive”, “Le souvenir déterminant”, “Le sourire du diable”, tous deviennent des énigmes que nous nous amusons à résoudre.
On se prend au jeu de l’artiste qui par son art pénètre nos pensées, lui qui dit que l’inconscient n’existe pas, met à jour nos sentiments, souvenirs, présent et les étale devant nous.

The Museum of Modern Art. NY
Lui-même nous dévoile en partie ses secrets, parfois dramatiques, il devient pour nous cet enfant triste qui a perdu sa mère dans des circonstances affreuses et qu’il a vu morte, le visage dissimulé sous le tissu de sa robe.
Il invente au gré du temps des époques, des idées, celle qui m’éblouit bien-sûr est celle du “surréalisme en plein soleil”, j’adore cette découverte faite en 1943, les Allemands commencent à reculer à Stalingrad, c’est à nouveau l’espoir de la paix et lui il retrouve le soleil, les couleurs de Renoir, la peinture de la volupté. Je ne comprends pas le refus d’André Breton à qui Magritte propose ce manifeste, moi j’aurais dit oui avec enchantement !

Toute sa vie il cherche des réponses, comment associer l’image à la pensée, ne pas être tributaire de ce qu’on voit mais ce que nous ressentons, imaginons. A mille lieues de ce qu’il qualifiait de “travaux imbéciles” des jeunes années, ces dessins publicitaires.
La découverte en 1924 du “Chant d’amour” de Giorgio de Chirico (1914) le bouleverse et c’est alors un nouveau départ.
En 1927, date des premiers tableaux de mots, il s’installe à Paris, assiste aux réunions surréalistes autour du chef de file André Breton qui le traite avec condescendance !
Et pourtant, bien plus tard, lorsqu’en 1954, une rétrospective a lieu à New York à la galerie Sydney Janis, sous le titre “Word vs image”, elle est visitée par Andy Warhol, Jasper Johns…, ces derniers n’oublieront pas cette exposition et feront plus tard, lorsqu’ils le pourront, l’acquisition de tableaux. Les Américains ont compris très vite que la peinture de Magritte va au delà du surréalisme, la génération pop d’artistes a reconnu en lui leurs futures valeurs tout comme la génération conceptuelle.

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1933, année charnière, il peint “Les affinités électives” , un tableau qui représente un oeuf dans une cage. Il passe de la beauté fortuite à la beauté raisonnée. “Toute mon oeuvre correspond à mon projet de résoudre des problèmes” Magritte.
Et voilà le problème ! Les tableaux accrochés sur les cimaises que nous pouvons voir, représentent des résolutions de problèmes, celui de la fenêtre, de la femme, de la voiture, du verre d’eau… Il faut comprendre que le surréalisme belge est très différent du français, dirigé par le poète André Breton. En Belgique c’est Paul Nougé, le surréaliste belge, marxiste de la première heure, co-fondateur du parti communiste belge qui est aussi un scientifique. Et ainsi, Magritte fait de la peinture une forme d’équation mathématique.
Le deuxième point très important chez Magritte est la philosophie et c’est en écoutant la radio qu’il découvre Alphonse De Waelhens à qui il écrit “il y a un certain nombre de petits problèmes théoriques dans votre ouvrage… ” celui-ci deviendra son ami et conseiller philosophique, ce qui donne lieu à quelques annecdotes savoureuses. Waelhens lui avait recommandé la lecture de “L’oeil et l’esprit “de Maurice Merleau-Ponty, suite à sa lecture, Magritte lui répond “Votre Merleau-Ponty n’a rien compris à la peinture”

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Mais la rencontre déterminante est celle du peintre et de Michel Foucault en 1966. Chez son libraire un ouvrage retient son attention “Des mots et des choses”. Il écrit immédiatement à Foucault et lui dit “Il y a un petit problème, vous semblez confondre ressemblance et similitude” ! Cet échange qui va suivre va aboutir à l’ouvrage publié en 1973 par le philosophe “Ceci n’est pas une pipe”
“Magritte peintre de la précision, de l’illusion mais qui à la façon de la distanciation brechtienne mettrait des rideaux pour témoigner que oui tout ça est un jeu dont il est conscient et dont il révèle d’une certaine façon la facticité “ Didier Ottinger, commissaire de l’exposition – Magritte, la trahison des images.

Magritte nous parle de la beauté , il étudie cette beauté, peut-être en observant cette sculpture de la Vénus de Milo qu’il a posé sur son bureau et qu’il a peinturlurée. Là aussi il cherche la formule de cette beauté et la recompose comme Zeuxis. Les canons de beauté de l’Antiquité sont remis en cause et le corps de la femme est divisé, mesurée “La Folie des Grandeurs” 1962.
La beauté, l’amour, toujours que nous retrouvons dans cette origine de la peinture, cette légende sur l’invention de la peinture de Pline l’Ancien dans son ” Histoire naturelle” la peinture serait l’empreinte du désir amoureux . Magritte peint “Une jeune femme dont l’ombre dessine un oiseau prenant son envol”

The Menil Collection, Houston
Didier Ottinger, commissaire de cette exposition nous parle avec passion de cet artiste rare et le définit si bien “l’homme qui pense en images”
Florence Briat Soulié

Magritte – La trahison des images.
21 septembre 2016 – 23 janvier 2017
Centre Pompidou
Commissaire d’exposition : Didier Ottinger

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3 commentaires
Jacqueline Knox
Florence It looks amazing, must go next time I am in Paris. Jacqueline
Sophia
Ma chère Florence
Ceci n’est pas une exposition, c’est pourquoi nous irons la voir pour la rêver.
Merci encore merci pour toutes ces lectures passionnantes.
Sophia
Florence Briat-Soulié
Chère Sophia, j’adore ta réponse et oui l’oeuvre de Magritte est un rêve !