OuLiPo – Ouvroir de Littératures Potentielles

PAR SEVERINE LE GRIX DE LA SALLE

L’ANOMALIE

Hervé Le Tellier (Prix Goncourt 2020)

Maison de la Presse du Cap Ferret

Dans la merveilleuse Maison de la Presse du Cap Ferret, j’ai été présentée à un autre lecteur fou. Quand je lui demandais pourquoi ce livre au pitch génial (un avion se pose deux fois à trois mois d’intervalle et chaque passager sera donc confronté à son double), que j’avais dévoré en une nuit, m’avait peu touchée, il me répondit : « normal c’est un livre OuLiPo ! » 

© Mariegraph

Si comme moi vous ne connaissiez pas ce concept génial, le voici :  Ouvroir de Littératures Potentielles, un mouvement fondé par Raymond Queneau pour découvrir les nouvelles potentialités du langage et moderniser l’expression à travers des jeux d’écritures. ” L’Anomalie”, quand on le (re)lit avec cette clé, trouve alors toute sa saveur : l’auteur alterne avec brio de la science-fiction, du polar, de la littérature sentimentale, de l’autofiction, bref tous types de littératures. Un puzzle intellectuellement brillant, j’aurai aimé avoir le mode d’emploi avant pour mieux l’apprécier… donc lecteurs chanceux, à vous !

Par ailleurs, cela donne envie de découvrir les drôles de zozos OuLiPiens, plutôt très drôles, qui Ou, qui Li, qui PO, qui travaillent donc, en s’inventant des contraintes : « un auteur oulipien, c’est un rat qui construit lui-même le labyrinthe dont il se propose de sortir ».

Georges Perec, Boris Vian ont inventé des trucs de fous comme les projets PALF (Production automatique de Littérature Française) et LSD (Littérature Semi Définitionnelle). D’autres inventent des locutions nouvelles en distordant des proverbes et en leur assignant un sens précis. Par exemple : 

  • Tuer la poule dans le plat : attendre le dernier moment pour s’acquitter d’une tâche aussi désagréable qu’indispensable 
  • Tuer la poule devant les bœufs : faire un exemple
  • Tuer la poule sur le feu : agir de façon précipitée
Hervé Le Tellier – L’Anomalie – Gallimard

D’autres jouent à l’Acrostiche. C’est un poème qui compte autant de vers que ce mot compte de lettres, et dont le premier vers commence par la première lettre du mot, le deuxième par la deuxième et ainsi de suite.  

Virtuose de la contrainte, Hervé Le Tellier lorsqu’il était journaliste, « a commencé à écrire des petites nouvelles qui devait faire 2000 signes. Je m’amusais à remettre des textes d’exactement 2000 signes. Pas 1999 ni 2001 ».

Dans l’émouvante interview donnée au Monde (22 février 2021) il dit avoir trouvé à l’OuLiPo une seconde famille après une enfance compliquée entre un père absent et une mère folle :

« il y a une pudeur de la contrainte. Quand on parle du deuil mais qu’on en fait un sonnet ou des quatrains comme Hugo dans « les Contemplations », on n’écrit pas la même chose que sans garde-fou ». 

Et si de la contrainte naissait l’élégance ? Merci Monsieur.

PS : hâte de découvrir vos textes plus personnels : « Toutes les familles heureuses » et « Assez parlé d’amour »

Et mention spéciale à la Maison de la Presse du Cap Ferret et à ses formidables libraires (une « cave à livre » est cachée au fond), buralistes, marchand de journaux, puzzle et jouets, bref, marchands de petits et grands bonheurs.

21 Boulevard de la Plage 33970 Cap Ferret – mdpferret.audinet@gmail.com

05 56 60 62 71

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :