Les dessins libres et vibrants des frères Bouroullec

On connait leur virtuosité de designers, qui a fait de leur duo un acteur incontournable de la scène internationale contemporaine en matière de Design. Je découvre, grâce à la galerie Kreo, un autre aspect du talent des frères Bouroullec. Celle de la pratique intime du dessin, exercée non pas ensemble, mais de façon personnelle, chacun chez soi. L’exposition, présentée à la galerie Lucas Ratton de Saint-Tropez et orchestrée par Kreo, met en regard les dessins d’Erwan et de Ronan Bouroullec. On y admire deux sensibilités , techniques et styles très différents. Les dessins de l’un relèvent de l’art digital, ceux de l’autre privilégient l’ébauche spontanée à la main avec un feutre-pinceau.

Les Bouroullec. Depuis la fin des années 90, moment où commence leur association, ce nom est lié au meilleur de l’actualité en Design contemporain. On a en tête nombre de créations iconiques des deux frères depuis leurs premiers grands succès, la Cuisine Desintégrée (1997) et le Lit clos créé avec l’éditeur Italien Cappellini-qui les a repérés dès le début-, puis d’autres pièces mémorables telles les tuiles textiles modulaires North Tiles (éditeur Kvadra), les bureaux autonomes Joyn (éditeur Vitra), les canapés Alcove (Vitra) etc.. Le talent de Ronan et Erwan Bouroullec réinvente les espaces, apporte mobilité, modularité et flexibilité au mobilier de bureau, aux maisons, redéfinit les espaces publics avec leurs Rêveries Urbaines et enchante les Musées avec des installations spectaculaires et oniriques.

Depuis 2000, leur collaboration avec la galerie Kreo soutient leurs champs d’explorations pluridisciplinaires. C’est ainsi que Clémence Krzentowski, co-fondatrice avec son mari de la galerie, me dévoile leurs dessins , domaine d’expression artistique à part, déconnecté de la pratique du design, qui révèle une facette profonde et personnelle de chacun des frères.

Les dessins méditatifs de Ronan Bouroullec, reflet des émotions et du cheminement de ses pensées

“Le dessin libre est mon compagnon depuis que j’ai 10 ans, une expression plus directe, plus diversifiée, déconnectée de toutes contingences, tel un journal de bord que j’écris quasi au quotidien.” Ronan Bouroullec

Spontanément, je suis attirée par les dessins aux lignes fluides, organiques et sensuelles, aux couleurs vibrantes, de Ronan. Le mouvement, répétitif comme une méditation, tracé au feutre-pinceau me séduit. Il y a une grâce toute particulière à cette simplicité essentielle, dénuée de toute fioriture inutile, et à la liberté spontanée de la forme finale. Je suis captivée immédiatement par un diptyque de dessins monochromes d’un bleu lumineux. Est-ce la proximité de la méditerranée qui m’influence? J’aime l’effet hypnotique que produisent les pressions nuancées du pinceau sur le papier brillant. Sur le mur suivant, est accrochée une série d’oeuvres, cette fois multicolores, associant vert végétal, rouge chatoyant et orange vibrant, avec parfois des pointes de bleu. Les formes dialoguent entre elles, les couleurs se répondent avec beaucoup de poésie. La galeriste m’apprend que dix de ces pièces sont réservées pour une exposition dans un grand Musée en Europe. Les belles créations passent rarement inaperçues!

Pour Erwan Bouroullec, dessins digitaux et méthode rigoureuse

“J’ai l’envie de faire une image avec les moyens de notre époque – ordinateur, logiciels – et de montrer une matière très chargée“. Erwan Bouroullec

Une approche très différente pour les immenses oeuvres colorées de son frère, Erwan. Pour lui, la partie se joue sur le terrain du numérique. Le point de départ sont des photographies colorées de forêts, places de marché, fermes et divers autres lieux qui l’entourent . A l’aide d’un logiciel élaboré pour cette pratique, les photos sont transformées en images digitales. La prise de vue devient une écriture de codes, le sujet photographié est métamorphosé en jeux optiques de lignes, couleurs et mouvements, le réel devient abstrait. Erwan Bouroullec dessine en suivant un concept et une méthode à la manière de Sol LeWitt qui reproduisait systématiquement un motif simple. Le résultat est une explosion de couleurs et d’effets de matière dont se dégage une énergie intense et mystérieuse.

La galerie Lucas Ratton a eu l’idée géniale de proposer des expositions collectives dans son grand espace de Saint-Tropez, en invitant des galeries parisiennes de grande qualité. Pour cette saison, aux côté des exceptionnelles pièces d’Art tribal de Lucas Ratton , le visiteur peut admirer des artistes de Kamel Mennour (Tadashi Kawamata, Daniel Buren, Anish Kapoor…), ainsi que de grands designers présentés par Jacques Lacoste (Pierre Chapo, Alexandre Noll etc..), ou Kreo (Jaime Hayon, Pierre Charpin, les frères Bouroullec etc..). Le dialogue de ses grands créateurs compose des univers artistiques superbes et inspirants.

Caroline d’Esneval

Du 19 Mai au 31 Octobre 2021

Galerie Lucas Ratton , 1 place des Lices, Saint Tropez