Alberto Giacometti & Sally Gabori
Deux expositions à voir, en cette période de rentrée, la première se terminant bientôt. L’Institut Giacometti et la Fondation Cartier, deux lieux très différents, deux artistes, l’une aborigène d’Australie, Sally Gabori, l’autre suisse, Alberto Giacometti, tous les deux gardent dans leur mémoire les paysages de leur enfance, clés essentielles de leur oeuvre, la mer pour la première et les montagnes pour le second.

Alberto Giacometti
Un arbre comme une femme, une pierre comme une tête
Un titre si beau et poétique, s’inspirant d’une lettre d’Alberto Giacometti (1901-1966) en 1950 à son galériste Pierre Matisse (fils d’Henri). Des mots qui lui ressemblent tant et qui décrivent deux de ses sculptures La forêt et la Clairière qui seront exposées à New-York en décembre de cette même année.

“En regardant les autres figures qui, pour débarrasser la table, avaient été placées au hasard par terre,
[EXTRAIT] LETTRE À PIERRE MATISSE
je m’aperçus qu’elles formaient deux groupes qui me semblaient correspondre à ce que je cherchais. Je montai les deux groupes sur des bases sans le moindre changement et si ensuite j’ai travaillé aux figures, je n’ai jamais modifié ni leur place ni leur dimension […].
La composition 7 figures [et] tête me rappela un coin de forêt vu pendant de nombreuses années dans mon enfance et dont les arbres – derrière lesquels on apercevait des blocs de gneiss – aux troncs nus et élancés (sans branches presque jusqu’au sommet) me semblaient toujours être comme des personnages immobilisés dans leur marche et qui se parlaient.
Catalogue de l’exposition Alberto Giacometti, New York, Pierre Matisse Gallery (12 décembre 1950 – 6 janvier 1951), publiée en anglais, reprise dans Alberto Giacometti, Écrits. Articles, notes et entretiens, Paris, Hermann,
coll. « Savoir sur l’art », 2007, p. 102-103
Avant de commencer la visite, ne pas hésiter à s’imprégner de ce titre, qui exprime si bien le désir de l’artiste, le sculpteur, le peintre, le dessinateur. L’artiste garde dans sa mémoire un morceau de son enfance, qui reste ancré lui et qu’il nous transmet à travers ses oeuvres, par ce geste, évoquant par la même occasion l’importance des souvenirs d’enfance, nos madeleines de Proust. Ses arbres, ses montagnes cette région prennent vie, deviennent intemporels à travers sa Forêt ou sa Clairière et en les regardant on ressent cette profondeur qui l’anime et qui nous plait tant.
La carte postale
1910, Giovanni Giacometti artiste reconnu adresse à ses enfants, une carte postale représentant un paysage de montagne La Mère Royaume de Ferdinand Hodler, le père précise bien à son fils Alberto, âgé d’à peine 9 ans, de bien observer cette peinture.
Les Giacometti sont une famille d’artistes, entourée de proches également artistes, Alberto et ses frères baignent dans un environnement qui ne pourrait pas être plus propice à l’art.
Alberto Giacometti n’oubliera jamais le village de son enfance Stampa au coeur des Alpes suisses, un paysage que le jeune Alberto ne cesse d’observer et qui restera une clé essentielle de son art. Toute sa vie, il gardera cet attachement à cette nature qu’il décrit et peint sur ses aquarelles vers 1920 et montrées dans l’exposition.
Je suis toujours émerveillée et touchée par les sculptures, dessins… de Giacometti, cette fois-ci c’est une autre facette que je découvre, cette série d’aquarelles peintes de paysages de montagne, les maisons en bordure de chemin, le lac, les arbres dans des couleurs pastel, C’est très émouvant de découvrir ces oeuvres de jeunesse avant de découvrir à nouveau d’autres paysages mais cette fois-ci sculptés dans du bronze.

A l’entrée du musée, qui se trouve dans ce si charmant hôtel de Paul Follot, je n’avais jamais vraiment prété attention, aux deux imposantes portes en bronze accrochées au mur, ce sont celles du tombeau des propriétaires de la célèbre Maison sur la Cascade de l’architecte Frank Lloyd Wright. Giacometti a sculpté sur chaque panneau, un petit personnage sur une montagne au pied d’un seul grand arbre symbolisant tous les arbres, le paysage. Ne pas oublier que Giacometti s’intéresse beaucoup à la peinture de la Renaissance, il est un visiteur assidu du Louvre et on reconnaît la simplicité d’un paysage d’un primitif italien.
Encore quelques jours pour découvrir une autre facette de ce si grand artiste qui montre l’importance du paysage de Stampa, toujours présent dans ses représentations de figures humaines.

Alberto Giacometti
Un arbre comme une femme – Une pierre comme une tête
Institut Giacometti
5, rue Victor Schoelcher – 75014 Paris.
Jusqu’au 18 septembre 2022
Commissariat : Romain Perrin
Photo : Catalogue co-édité par la Fondation Giacometti, Paris et FAGE éditions, Lyon, bilingue français/anglais.
Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori
à la Fondation Cartier
« Voici ma terre, ma mer, celle que je suis »
« Danda ngijinda dulk, danda ngijinda malaa, danda ngad. »

Il s’agit de la première exposition de Sally Gabori en dehors de l’Australie. Une artiste singulière qui commence la peinture en 2015 à 80 ans et en moins de dix ans, elle réalise plus de 2000 toiles.
Son expression, en dehors des sentiers battus, sans attache avec la culture arborigène, tout en étant cependant très ancrée dans cette culture.
L’artiste est née en 1924 et appartient au peuple Kayardilt, elle est née sur l’île Bentinck au Nord de l’Australie.


L’île Bentinck
Jusqu’en 1948, Sally Gabori et sa famille vivaient paisiblement sur leur île, profitant de ses ressources naturelles. Mais un drame survint, un cyclone qui les oblige à quitter ce lieu, ils deviennent des exilés et ne pourront plus rejoindre leur île natale. Ils sont réfugiés sur l’île Mornington, occupée par des presbytériens. Sur place on leur interdit de parler leur langue maternelle. Ils ne pourront y revenir que dans les années 1990. Et ce ne sera qu’en 2004 que les Kaiadilt obtiendront la reconnaissance de leurs droits territoriaux.
Durant toutes ces années Sally Gabori, ne peint toujours pas, ce n’est qu’en 2005, lorsqu’elle s’installe dans une maison de retraite, elle a 80 ans qu’elle commence alors à peindre, puisant son inspiration en elle et la culture Kaiardilt, une des plus anciennes du monde. Dans sa peinture il y a tout son héritage affectif, son histoire, sa vie de famille qu’elle partage sur ces grandes toiles.
Ses oeuvres sont très abstraites, souvent les couleurs sont éclatantes, fortes, chacune d’entre-elles sont associées à des lieux, ses proches, son mari Pat Gabori, son père, sa nombreuse famille, elle a eu 11 enfants… Elle peint la beauté de ces paysages qui restent ancrés dans son souvenir. Elle associe ses soeurs, ses nièces et d’autres femmes artistes Kaiadilt et réalisent ensemble des toiles monumentales.
L’artiste souhaite ardemment rendre hommage à ses ancêtres, laisser une marque de sa culture, montrer l’existence de l’ile, elle insiste sur sa description, son mythe. Selon la légende l’île Bentinck aurait été créée par Dirbidibi ou “Morue de Roche” qui aurait façonné cette terre avec ses nageoires.

Ce qui est incroyable, c’est non seulement cette vocation si tardive, son peuple n’a aucune tradition picturale, Sally Gabori réussit à aller au delà des stéréotypes, elle crée ses pigments. Par son oeuvre, elle renforce à la fois les liens avec les siens et assure l’existence des Kaiadilt.
La Fondation Cartier offre à ceux qui aimeraient en savoir plus sur l’artiste un site immersif : sallygabori-fondationcartier.com
Jusqu’au 6 novembre
Fondation Cartier
261 bd Raspail – 75014 Paris

SALLY GABORI
Fondation Cartier
Jusqu’au 6 novembre
Fondation Cartier
261 bd Raspail – 75014 Paris
Photo : Les proches, commissaires réunis pour le vernissage de l’exposition de Sally Gabori à la Fondation Cartier.

