Les Aliénés du Mobilier National/Le Retour
Quand « faire partie des meubles » devient une chance !
PAR VALÉRIE DE SAINT PIERRE

Avoir comme destination du jour la Galerie des Gobelins est toujours un voyage : la spectaculaire façade du lieu, au sortir du métro, un matin de grisaille ordinaire, renvoie illico à des temps plus glorieux… La programmation du Mobilier National n’est pourtant jamais nostalgique d’une quelconque grandeur passée ! L’exposition qui s’y tient jusqu’au 7 Janvier est au contraire pleine d’humour et de vitalité. Les «Aliénés» y sont en effet de retour …

Les « Aliénés », ce sont -pour mémoire- ces pièces, ces meubles sans intérêt patrimonial, humble et parfois ancillaire mémoire des XIXème et XX ème siècle, stockés, voire oubliés, dans les réserves du Mobilier National. Ces dernières n’étant pas extensibles à l’infini, l’établissement est libre, après avis d’un comité Scientifique, de se débarrasser sans plus de façons de ce mobilier devenu « aliénable »…

Mais comme le Mobilier National prend aussi à cœur les problématiques d’époque -upcycling, éco-responsabilité, impact carbone…-, il a, dès 2019, eu la très jolie idée de donner une seconde vie plus brillante à ces modestes reclus. Confiés à des artistes plasticiens, une sélection de ces meubles dédaignés se réincarne en effet en œuvre unique, à mi-chemin entre l’objet usuel décoratif et le geste artistique, une démarche hybride, parfois à la frontière de l’artisanat, qui est elle aussi parfaitement d’actualité…Une première exposition a eu lieu en 2022.

Pour cette deuxième édition, 39 créateurs et artistes sont à nouveau intervenus en toute liberté sur 53 objets.
Ces « aliénés » 2023 ainsi réinterprétés explorent évidemment tout le double sens de leur appellation ! Le « grain de folie », onirique, transgressif, est bien là : un bureau foisonne et fusionne en jardin sous-marin en plastique (Valentine Hugues Despointes) , un lustre en albâtre désossé se couvre de blonds cheveux synthétiques (Alexandre Jeanson), des papillons en céramique parasites du bois volètent sur une commode redevenue branches par endroits ( Francelaine Debellefontaine)

Chaque artiste s’étant approprié «son» aliéné avec sa sensibilité propre, il est assez logique que le visiteur fasse de même dans ses coups de cœur …On entend ainsi des jeunes femmes apprécier franchement et en toute décontraction le côté DIY de certaines créations :
« quelle bonne idée de recycler le renard de la grand-tante en accoudoir ! ».

On y voit de jeunes branchés à casquette adorer avec un conformisme générationnel touchant la coiffeuse Restauration revampée en table de mixage ( Hall Haus) ou apprécier qu’une explosion colorée de street art secoue un bureau plat Empire ( Pimax) …
Pour ma part, ce sont les approches respectueuses de la fonction initiale de ces meubles modestes, hommage plein de souffle à leur passé sans éclat, qui m’ont le plus émue : une commode, une armoire qui s’ouvrent encore sur un destin utilitaire possible mais ont acquis une poésie délicieuse à ce passage entre des mains inspirées …

La basique commode Empire aux tiroirs évidés et sculptés pour évoquer des branches de Frank Evennou -connu pour son travail du bronze ou du fer forgé – rend ainsi un hommage plein de grâce aux forêts qui ont tant donné pour nous meubler … Son œuvre, joliment titrée « Redevenir un arbre », convainc au premier regard et ne s’oublie pas.


La si banale armoire en noyer, réinventée par Claire Salin, sculptrice et «lainière», est également une pièce inoubliable : des brèches ouvertes en suivant le fil du bois y sont comblées d’un tricotage rustique en laine vierge et ponctuées de délicats «points» ( au sens de point de tricot ) sculptés. Un hommage particulièrement sensible aux servantes lingères et ravaudeuses qui tinrent sans doute le linge de cette armoire …

Cerise sur le vanteau, l’exposition est ponctuée, en rappel chromatique ou thématique des meubles-œuvres, de tapisseries , tissées entre 1951 et 2016, dans les manufactures nationales des Gobelins et de Beauvais… Elles sont toutes spectaculaires, avec une mention spéciale pour le tryptique ( Mario Prassinos),du grand escalier …

LES ALIÉNÉS DU MOBILIER NATIONAL,
LE RETOUR !
Mobilier National
42 avenue des Gobelins – 75013 Paris
ENTREE LIBRE
Commissariat : Yves Badetz, conservateur général du patrimoine, conseiller à la création au Mobilier national
Jusqu’au 7 janvier 2024
Photo : Aurélie Mathigot. Plasticienne, Les trois inséparables, que la fête commence, anciennement trois chaises légères, bois doré, style Napoléon III, xxe siècle. @mathigotaurelietextualab


Un commentaire
christinenovalarue
💛