Les Rencontres de la Photographie à Arles 2023
The Gaze 👁️ of Anne Lesage, Nathalie Guiot, Fiammetta Horvat, Rodolphe Blavy, Thibaut Le Maire, Laure Martin-Poulet et Florence Briat-Soulié
Gregory Crewdson – Eva Nielsen – Diane Arbus – Scrapbooks – Carrie Mae Weems – Juliette Agnel – Collection Florence et Damien Bachelot – Jacques Leonard – Dolores Marat – LUMIERES DES SAINTES
Gregory Crewdson Eveningside 2012-2022
PAR ANNE LESAGE
Chef du pôle Images, Centre des monuments nationaux

L’Amérique en 4 volets…
Le ballet des lucioles Fireflies que Gregory Crewdson décide de capturer grâce à un dispositif très pensé et contemplatif, précède la série Cathedrals of the pines dont la mise en scène méticuleuse dévoile sa fascination pour les primitifs flamands. Crewdson conçoit des images aux multiples focus dans lesquels notre regard est amené méthodiquement à se poser, exactement comme la lecture d’un polar. Ce goût de la mise en scène ébauchée dans Fireflies puis avec son entourage familial va en s’amplifiant car à l’aube de la présidence Trump, le discours se politise ( An Eclipse of Moths), dépasse le sentiment, la narration intime pour se déployer sur le quartier, la rue, la ville dans des formats monumentaux. Cette série qui se contemple comme une fresque de l’Amérique moyenne nécessite une préparation logistique faramineuse (nacelles, éclairages , fumigènes…) dans laquelle s’affaire une véritable équipe de cinéma (maquilleuse, éclairagistes, accessoiristes, décorateurs… )..
Chaque image est un paradoxe car il s’agit de montrer le désœuvrement des personnages, le néant dans lequel ils ne sont pas encore tombés: l’instant avant la chute, la rupture et peut être un choix ou une chance inattendus face à une pitoyable prédestinée. Ainsi ce que le public peut percevoir comme de minuscules fragments d’optimisme emporte les personnages vers une hypothétique rédemption (Redemption Center). Bien que ses formats soient moins monumentaux, la récente série Eveningside est conçue avecun dispositif tout aussi imposant que la précédente. La proposition en noir et blanc très lumineuse rejoint la fiction des vieux films policiers : c’est là l’échappatoire d’un monde blafard (La maison des chaussures de Jim ) Eveningside orchestre magistralement le dialogue entre dystopie et poésie comme les Fireflies voués à leur destin éphémère : une « insoutenable légèreté » …

La Mécanique générale jusqu’au 24 septembre 2023.
Commissaire : Jean-Charles Vergne.
Eva Nielsen et Marianne Derrien, Insolare.
PAR NATHALIE GUIOT
Fondatrice et Présidente de la Fondation Thalie
Eva Nielsen est une artiste de ma collection que je suis depuis quelques années et qui ne finit pas de me surprendre. Avec INSOLARE présentée au cloître Saint-Trophime dans le cadre des Rencontres de la photographie, l’artiste s’empare à nouveau de phénomènes optiques par le biais de la sérigraphie. Les images sont travaillées comme des sédimentations du territoire de la Camargue, fragile car menacé par la sécheresse et la montée des eaux due au réchauffement climatique. Entre architecture et peinture, les frontières sont poreuses dans le travail plastique d’Eva Nielsen qui interroge ainsi de façon poétique l’impact de l’espèce humaine sur le devenir du paysage.

Cloître Saint-Trophime, jusqu’au 24 septembre 2023
Commissaire : Marianne Derrien.
Diane Arbus : Constellation
PAR THIBAUT LE MAIRE
Photographe
D’où provient ma fascination pour Diane Arbus ? Une façon singulière de mettre en image la différence, de nous confronter à nos peurs face à cette différence. Des différences radicales — marginaux, déclassés, monstres de foires, « freaks » en tout genre. Dans une approche très frontale, carrée, en noir et blanc, très épurée, centrée sur le sujet, les regards captés par Diane Arbus vous confrontent, vous font sentir petit face à cette différence, face à l’histoire imaginée de ces « freaks ». D’où un certain malaise à la première lecture de l’image, une certaine gêne. Rapidement dépassés tant le regard, la distance sont justes, aucun misérabilisme, aucune volonté de magnifier ses modèles. Une très belle et émouvante justesse de ton, dans la proximité.

Diane Arbus
« La plupart des gens avancent dans la vie avec la terreur de vivre un traumatisme. Les « freaks » sont nés avec leur traumatisme, ils ont déjà réussi le test de la vie, ce sont des Aristocrates. »
La Tour, Galerie Principale, jusqu’au 30 avril 2024
Commissaire d’exposition : Matthieu Humery
Scrapbooks Dans l’imaginaire des cinéastes
PAR FIAMMETTA HORVAT
Fille du photographe Frank Horvat
Une exposition voyage dans la tête des génies de l’image en mouvement. Matthieu Orléans (de la Cinémathèque) a fait un travail d’archéologue dans l’imaginaire des cinéastes. A travers le 20e siècle, il nous révèle les dessous de leurs créations grâce à leurs scrapbooks. Des recueils d’images collées, déchirées, de papiers trouvés, accumulés, de morceaux de journaux, d’expériences visuelles, de dessins, ces journaux intimes sont les laboratoires de leurs films. Ils sont chaotiques, obsessionnels, provocants et décalés. Vertigineuse impression de se promener dans leur imaginaire.J’ai particulièrement aimé celui de Derek Jarman, mystérieux et sensuel.

Espace Van Gogh , jusqu’au 24 septembre 2023.
Commissaire : Matthieu Orléans
Publication : Scrapbooks Dans l’imaginaire des cinéastes. Delpire & co, 2023.
Carrie Mae Weems : The Shape of Things
PAR RODOLPHE BLAVY
Collectionneur d’art africain contemporain
Avec “The Shape of Things,” la Fondation Luma présente un ensemble d’œuvres de Carrie May Weems, époustouflant, majeur, attendu et sans surprise aussi, tant l’artiste est établie (Jack Shainman Gallery et Fraenkel Gallery) depuis sa fameuse The Kitchen Table Series. Comblant le vide sidéral des Rencontres d’Arles sur les artistes noirs (elle en est la seule incarnation), elle nous plonge dans une interrogation subtile et poétique, parfois narrative, sur les histoires humaines et personnelles qui ont été réprimées, effacées parfois, par faute de racisme ou autre malheureuses shapes of things… Son cyclorama immersif m’a immergé, littéralement, par le biais de son écran cylindrique, au cœur des tumultes de l’Amérique d’aujourd’hui. Une œuvre importante.
La Mécanique Générale
Commissaires d’exposition : Vassilis Oikonomopoulos, Directeur des expositions et des programmes et Tom Eccles, Conseiller artistique.

Juliette Agnel, La Main de l’enfant
PAR LAURE MARTIN POULET
Historienne d’art
L’exposition La Main de l’enfant de Juliette Agnel est, sans conteste, l’un des temps forts de l’édition 2023 des Rencontres d’Arles. Cela tient à la parfaite adéquation entre la beauté déroutante et envoûtante des images de Juliette Agnel et la théâtralité des Cryptoportiques de la Mairie arlésienne qui, pour la première fois, s’ouvrent au festival. Juliette Agnel s’est fait une spécialité de photographier des lieux déserts, hors du commun, dans des conditions souvent extrêmes, que ce soit la nuit à Taharqa au Soudan (cf article précédent) ou à l’ombre des icebergs au Groenland.

Dans le cas présent, elle a jeté son dévolu sur les grottes d’Arcy sur Cure en Bourgogne que ses photographies, en se jouant de leur architecture métamorphosent. A travers sa quête visuelle des rapports entre la nature et l’homme, dont elle cherche à révéler les liens mystérieux, Juliette Agnel nous offre une vision respectueuse, sensible et sensuelle des lieux qu’elle choisit d’immortaliser, laissant la voie libre à tous les imaginaires.

Cryptoportiques, jusqu’au 24 septembre 2023.
Commissaire : Marta Ponsa.
Portraits, collection Florence et Damien Bachelot.
Jacques Léonard – L’esprit nomade.
PAR FLORENCE BRIAT SOULIE

Se diriger vers ce si beau musée sur les bords du Rhone pour découvrir deux expositions, celle de Jacques Léonard et la collection de Florence et Damien Bachelot.
Florence et Damien Bachelot ont constitué cet ensemble de photographies du début du XXe siècle à nos jours en portant une grande attention sur la qualité des tirages, 120 oeuvres ont été sélectionnées et sont présentées parmi celles de la collection permanente des lieux, ainsi une petite photographie du danseur étoile Nicolas Le Riche par Ann Ray et une grande toile inachevée de Jacques Reattu se trouvent côte à côte. Sur l’affiche intemporelle est reproduit ce portrait de femme toujours par Ann Ray, ce visage Mystères,en impression “lith” donne cet aspect ancien à la photographie effaçant la modernité de l’image. Il faut prendre le temps de regarder ces portraits, découvrir l’auto-portrait de l’artiste Pierre-Elie de Pibrac dans l’oeil de son modèle. Contemporain et passé s’entrecroisent avec délice, Bethsabée à sa toilette s’entoure de deux cibachromes de Saul Leiter. Un peu plus loin, les deux époques sont réunies par Robert Doisneau qui capture cet homme au chapeau mou à l’allure bourgeoise portant sous le bras un portrait ancien : modernité et classicisme se rejoignent dans une construction en abyme.

A voir aussi sur place Jacques Léonard, ce photographe français éperdu d’une gitane espagnole Rosario Amaya, qu’il finira par épouser. Adopté par les gitans, il les photographie dans leur vie de tous les jours, les veillées, la danse, la rue. Deux reportages bouleversants de l’artiste sont également exposés : Évadés, de 1943, montrant les français fuyant le fascisme pour embarquer vers l’Afrique en passant par l’Espagne ; La División Azul, de 1954, témoignage du retour en Espagne des survivants de la División Azul, 45 000 hommes envoyés par Franco en soutien à l’armée nazie dans l’invasion de la Russie.
Musée Réattu
Portraits, collection Florence. et Damien Bachelot. Jusqu’au 24 septembre 2023. Commissaires : Andy Neyrotti et Françoise Docquiert
Jacques Léonard – L’esprit nomade. Jusqu’au 1er octobre 2023. En partenariat avec la Fundación Photographic Social Vision. Commissaires : Daniel Rouvier et Maria Planas.

Lumières des Saintes, un pèlerinage photographique
J’ai beaucoup aimé ma visite de l’exposition qui complète celle de Jacques Léonard, Lumières des Saintes, un pèlerinage photographique, un témoignage de ces nombreux photographes qui sont passés par la Camargue et ont découvert cette manifestation incroyable aux Saintes Marie de la Mer, où tous les gitans, manouches, roms de France se retrouvent lors de ce pèlerinage.
Chapelle du Museon Arlaten – Musée de Provence, jusqu’au 24 septembre
Dolores Marat Dérèglements chromatiques
PAR ANNE LESAGE
Dolores Marat se présente comme une photographe autodidacte. Au fil des années sans retouche ni recadrage ses photographies explorent le mouvement et la couleur magnifiés par le procédé Fresson qui confère à ses tirages son velouté si singulier. C’est là le centre de son travail : le tirage qu’elle connait bien pour avoir exercé le métier de tireuse plus de10 ans dans ses jeunes années. L’exposition de ses photographies à la Croisière se veut rétrospective composée de tirages uniques et d’images à la lumière surréelle, artificielle la nuit. Seul bémol, malgré un accrochage irréprochable, cette rétrospective est un peu à l’étroit à la Croisière, Dolores Marat, mal accueillie à Arles dans les années 80 aurait cette fois méritée un grand espace où son œuvre aurait pu s’offrir à un public moins confidentiel.

Croisière, jusqu’au 24 septembre 2023.


Un commentaire
christinenovalarue
🩵