Patrick Roger, l’homme qui sculpte le chocolat
Le chocolat à 100/100
Je me souviens de l’Hôtel de la Monnaie un soir d’automne, seule dans les salons, j’étais merveilleusement bien, ce parfum de chocolat, les lumières de ces grands lustres à pampilles de cristal se reflétant dans les vitres, et cette vue sur la Seine était comme un rêve, c’était à l’occasion de l’exposition de l’artiste très controversé Paul Mac Carthy qui avait investi le musée avec sa Chocolate Factory. Et depuis ce jour, je n’avais pas retrouvé cette sensation, jusqu’à cette rencontre avec Patrick Roger dans son atelier de Sceaux.
Lorsque j’ai eu cette proposition d’interview, j’ai dit oui sans hésiter car depuis longtemps j’étais fascinée par les sculptures dans ces vitrines qui ornent Paris, j’aimais cette originalité, sa manière de s’accaparer l’espace.
Sans le connaître , je savais que Patrick Roger était différent des autres chocolatiers. Je ne serai pas déçue par mon rendez-vous !
M.O.F. Meilleur Ouvrier de France

J’apprends que tout jeune apprenti pâtissier, il fut recalé, on lui trouve une place chez un chocolatier et là c’est une révélation, Patrick Roger découvre le chocolat, il est vite repéré, il rencontre Jean-Paul Gaultier, ce sont les années 80 et de nombreux évènements ont lieu. Il se surpasse, en 2000, il est consacré MOF Meilleur Ouvrier de France. Une matière qui lui permet de se révéler, de créer, en éveillant les sens olfactif, visuel, toucher, goût. Une osmose parfaite avec la matière.
L’homme pressé, épris de vitesse, exigeant, travailleur acharné, sculpte, modèle sa terre de prédilection qu’il a choisie ou qui l’a choisi ? Ce chocolat déniché aux 4 coins du monde par ses émissaires qui partent à la recherche des meilleures fèves de cacao pour lui. Lui-même voyage énormément et a une passion pour Madagascar où se trouvent les grandes plantations d’un cacao d’exception.


J’arrive dans ce lieu hors norme qui aurait pu être celui décrit dans ce roman de Roald Dahl, il s’agit de l’atelier de l’artiste, l’architecture est en verre au milieu de ce jardin orné des sculptures du maître des lieux.
A l’intérieur bronzes à patines inox étincelantes, comme cette raie, ou sombres, se confrontent aux autres éléments.
Sur sa table de travail trois plaques de chocolat attendent d’être dégustées par le sculpteur qui se laisse guider par son inspiration, nourrie de ses voyages, son enfance dans le Perche au milieu de la nature, sa bibliothèque de livres d’art qu’il aime consulter et bien-sûr sa famille, on peut apercevoir leurs portraits sculptés dans le parc attenant l’atelier. Le format de ses oeuvres est à son image, minimal ou démesuré, les formes abstraites ou figuratives sont créées dans ce chocolat (je précise qu’il s’agit d’un chocolat ordinaire et recyclé), la sculpture est ensuite recouverte d’une résine blanche, la technique utilisée pour la fonte du bronze est la même que celle de la cire perdue. Le chocolat fondu est récupéré pour resservir à nouveau.
“D’abord je prends le chocolat liquide ou solide dans le bloc ensuite on le moule avec de l’élastomère, puis on fabrique une chape en plâtre ou en résine. Le chocolat à la fois nourriture et matière, je suis seul au monde”
Patrick Roger

C’est captivant cette nécessité, ce désir de création de l’artiste qui se situe toujours sur deux axes : éphémère et pérenne, laisser une trace de son oeuvre est fondamental pour Patrick Roger, une oeuvre en deux temps, celle qui va s’effacer avec le temps et l’autre éternelle, mémoire de la première.
“Au départ cela commence ainsi, une cliente m’entraîne à la fonderie de Coubertin, là je comprends que par le moulage je vais pouvoir sauver mon travail artistique”
Patrick ROGER
Je ressens comme un désir de celui qui a réussi cette oeuvre unique, du passionné, de vouloir partager ce manifeste de la nature, la fève de chocolat qu’il édifie au rang de matériau noble. Artisan, artiste, Patrick Roger est les deux il est à la fois celui qui fabrique les chocolats si appréciés, dans la tradition d’un savoir-faire qui vise l’excellence et il est aussi celui qui utilise le chocolat en tant que matériau pour créer son oeuvre protéiforme. La matière pour produire de la liberté, c’est à dire de l’art comme le dit l’historien de l’art Bernardo Pinto de Almeida.

Donatien Grau rapproche à juste titre le travail créatif de Patrick Roger de la recherche alchimique des Anciens. On y trouve l’Oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar, la couleur verte, couleur fétiche de Parick Roger, couleur du vitriol des alchimistes, le lion vert qui dévore les impuretés de la matière. L’oeuvre de Patrick Roger est nourrie de références et de symbolisme.
“On ne pourrait trouver meilleures paroles pour qualifier le processus entrepris par la sculpture de Patrick Roger. Le chocolat, boue solidifiée du plaisir, est sculpté, puis moulé dans d’autres matériaux qui, souvent, brillent. Le chocolat devient métal. C’est le rêve baudelairien de continuer l’œuvre des alchimistes médiévaux, qui transformaient le métal vil en or. Pourtant, au moment où crée notre sculpteur, le chocolat n’est pas vil, le métal pas toujours aussi précieux qu’il l’était dans les civilisations du monument. La forme est encore là, souvent marquée, martelée, de ce qui fut la réalité du chocolat, ce matériau que Patrick Roger maîtrisa dès ses jeunes années. Elle est désormais devenue sculpture, suivant les fontes qui firent l’histoire de cet art et auxquelles il est adhéré avec la suprême fidélité.”
Donatien Grau, extrait de la préface du livre “Patrick Roger – 2 sculptures “
Patrick Roger est épris de nature et très impliqué par la biodiversité, dans le jardin se trouvent des ruches, dans le Sud il cultive ses propres amandes car pour lui c’est dans cette région que se trouve le meilleur savoir-faire en ce qui concerne ce fruit.

Eblouie par cet atelier incroyable, je continue ma visite, ce jour là des petits Pères Noël en pâte d’amande patientaient sur leurs grilles avant d’être rangés dans leurs boîtes vertes emblématiques de la maison, elles-mêmes disposées comme une installation artistique qui vue du premier étage interpelle le visiteur.
Je suis enchantée au milieu de cette effervescence autour de ce chocolat qui coule dans des moules, les mètres et les mètres de pâte d’amande qui se déroulent sur le tapis de la machine, une porte en bronze sculpté par Patrick Roger me rappelant cette si fameuse plaque, s’ouvre vers d’autres horizons.

Patrick Roger a exposé ses oeuvres au Japon à Tokyo dans une “cathédrale” dessinée par l’architecte Taddo Ando pour Issey
Miyake et dans de nombreux lieux, il y a eu Christie’s à Paris en 2017, l’Unesco, le domaine de Chaumont sur Loire…
Lors des journées du patrimoine, les portes de l’atelier se sont ouvertes aux visiteurs qui ont pu découvrir ce lieu enchanteur. En ce moment on peut aussi découvrir ses sculptures à Saint Sulpice ou aussi à la Madeleine dans les étages de ses magasins.

PATRICK ROGER
Livre Sculptures 2
Préface de Donatien Grau, conseiller pour les programmes contemporains du Musée du Louvre
Poids net : 700g, soit 92,86 €/kg

