Escapade à Coblence dans les pas de Anne & Patrick Poirier
en passant par Wuppertal, Dusseldorf, Gand et pour terminer les plages du Nord
Anne & Patrick Poirier, Fragilité au Ludwig Museum Koblenz

Filer en douce à Coblence pour ne pas rater le dernier week-end de l’exposition de Anne et Patrick Poirier Fragilité au Ludwig Museum Koblenz, une belle demeure sur les bords du Rhin accolée à l’église Saint Kastor au milieu des arbres aux couleurs d’automne, la façade blanche, les ouvertures soulignées de cette couleur orange traditionnelle, un ensemble très charmant dominé par la sculpture équestre géante du Kaiser Guillaume II.
J’ai eu la chance de faire cette escapade avec la commissaire Laure Martin Poulet .

…Tenant à rester singuliers, ils ont toujours farouchement revendiqué et assumé une totale liberté de création, « ne s’interdisant jamais rien » pour reprendre une de leurs expressions favorites. Ils aiment les chemins de traverse, travaillent lentement et gardent soigneusement le secret de l’alchimie qui donnent naissance à des séries très variées, qui peuvent être interrompues pendant des années puis reprises à la faveur d’une actualité politique, d’un évènement privé.
Laure Martin, commissaire de l’exposition “Fragilité” à Coblence.
Cette semaine d’octobre était dédiée à ce couple d’artistes unique. Trois jours avant de me retrouver à Coblence, j’assistais à l’installation d’Anne Poirier à l’Académie des Beaux-Arts, après des discours très émouvants de Frédéric Mitterrand, de la récipiendaire et de celui de Jacques Toubon qui lui a remis la très belle épée dessinée par Patrick qui est correspondant de l’Institut depuis septembre 2021.

Mais revenons en Allemagne au Ludwig Museum à Coblence, cette exposition trop courte et pourtant si intense « Fragilité » s’est terminée le 30 octobre et rend hommage à l’occasion du 30e anniversaire du musée, à son fondateur Peter Ludwig un des tous premiers collectionneurs du couple dès les années 70.
L’œuvre pérenne sur la terrasse Dépôt de mémoire et d’oubli avait été commandée pour l’ouverture du musée en 1992 par Peter Ludwig, elle clôt la série “Gigantomachie” dédiée à la mythologie. Ruines, archéologie, colonnes à terre en marbre, trois flèches étincelantes en acier poli pointées sur cette installation, dirigent notre œil vers ces stèles gravées de phrases Der Blick des Zorns (Le regard de la colère), Zeichen und Sätze ( signes et phrases), Worte sind Schatten (Les mots sont des ombres ) et d’autres mots encore…
Il y a quelques jours, on a appris une bonne nouvelle, la plus petite flèche qui avait été volée avait été retrouvée par la police et remise au musée.

A chaque fois ce couple étonne par sa diversité, cette façon d’utiliser toutes sortes de médiums et de nous scénariser « la fragilité » de cette terre où nous vivons, avant la prise de conscience de l’urgence climatique. Ils nous emmènent dans un long périple initiatique de l’Antiquité à nos jours, tous ces éléments sont autant d’indices qui nous révèlent les enjeux de notre Terre.
Empreintes en papier japon prises sur un visage d’une sculpture d’Apollon, une de leurs toutes premières oeuvres ou des ruines, le voyage d’Ulysse sculpté sur une rame en bronze, se regardent comme une odyssée moderne, lanceuse d’alerte. La finesse de leur travail, son aspect délicat, le rehaussement par les matériaux nobles – la feuille d’or – me fait penser au masque d’Agamemnon découvert – ou retravaillé ? – par Schliemann en 1876.
Les œuvres belles poétiques s’observent, on se doit de tourner autour, elles se dévoilent, et doucement nous font prendre conscience toujours avec cette alliance du passé et de la modernité de certaines causes importantes. On se laisse emporter dans ce voyage d’Ulysse, les épaves de barques en bois posées sur le tapis en laine, soie et fibre de bambou où se dessine l’itinéraire du héros nous interpellent.


A droite : La Cité des ombres – Faïence – Tapis en soie et bambou, 2022. Collection des artistes.
Anne et Patrick sont des voyageurs du Monde. Lors du discours d’Anne sous la coupole, j’ai appris qu’ils avaient indiqué sur leurs passeports les professions d’architecte et archéologue, ce qui leur a ouvert certaines portes de sites archéologiques. Observateurs de sa fragilité, gardiens de notre mémoire, ils créent des œuvres parfois prémonitoires comme Danger Zone, créée juste avant l’explosion AZF en 2001.
Une visite comme une expérience suscitée par Anne et Patrick Poirier qui ont investi les deux premiers niveaux du musée, les deux artistes ont entièrement repensé l’espace ingrat du rez-de chaussée, en créant des cloisons, avec des ouvertures ponctuées de mots qui découvrent chacune à leur tour leurs premières empreintes, le journal du poète, une maquette, des herbiers, un tapis… Ces cellules s’articulent autour d’une voie centrale éclairée par une sculpture en néon qui nous guide jusqu’à l’installation de La Cité des Ombres créée en 2022.
Voir article précédent sur Anne et Patrick Poirier

Anne & Patrick Poirier. Fragilité
pour le 30e anniversaire du Ludwig Museum
11.09.2022 – 30.10.2022
Commissaire : Laure Martin Poulet et Beate Reifenscheid
Photo : Couverture du catalogue Anne et Patrick Poirier. Fragilité. Edité par Beate Reifenscheid avec les contributions de
Tony Cragg, Laure Martin-Poulet et Beate Reifenscheid, avec les extraits du journal des artistes et l’interview des artistes par Danielle C. March.
Wienand-Verlag Köln (2022)
Fondation Cragg – Parc de sculptures Waldfrieden
Un voyage qui continue à Wuppertal, ce parc de sculptures créé par l’artiste anglais Tony Cragg autour de la Villa Waldfrieden, une maison rose, nichée dans la verdure et construite après la guerre à la demande de son propriétaire Kurt Herberts par l’architecte Franz Krause. Cette maison est particulière, construite en courbes, celles du corps humain, de la nature environnante et en tenant compte de la lumière du jour.

Une promenade dans cette forêt où se trouvent non seulement les sculptures de l’artiste mais aussi celles de Thomas. Schütte, Henry Moore, Markus Lüpertz, Erwin Wurm… en ce moment il y a une exposition de Andreas Schmitten, deux autres interventions des artistes Anish Kapoor et Bettina Pousttchi, dont Fluidity House qui a recouvert entièrement la façade d’un des bâtiments du parc d’un décor noir et blanc faisant penser à un filet.
Anne et Patrick Poirier avaient exposé dans les lieux en 2016 et avaient occupé non seulement la maison mais aussi les autres bâtiments du parc. La fondation possède plusieurs oeuvres majeures des artistes.
https://skulpturenpark-waldfrieden.de

Christo et Jeanne-Claude à Düsseldorf
Avec mon amie Laure Martin, qui a été présidente du projet Christo et Jeanne-Claude, l’Arc de Triomphe Wrapped – quel beau souvenir, Paris était alors une Fête! – nous ne pouvions pas faire l’impasse d’une visite de l’exposition Christo and Jeanne-Claude, Paris, New-York, crossing borders au Kunst Palast à Düsseldorf. Tous leurs projets sont présentés à cette occasion, l’Arc de Triomphe à Paris en 2021, en passant par le Reichstag, Berlin 1995, ou The Gates à NewYork en 2005.
Une exposition passionnante où l’on peut admirer un panorama de l’oeuvre du couple, regarder ces dessins et collages de Christo, les couleurs choisies qui ressortent le bleu couleur zinc pour Paris, argenté pour Berlin, jaune à New-York, toutes ces oeuvres nous montrent l’étendue de son talent. L’exposition commence par nous montrer ses inspirations, un peu comme celle de Paris à Pompidou, les cratères inspirés par Jean Dubuffet, les artistes qui l’entourent, César, Arman, Tinguely, Niki de Saint Phalle, Villeglé… Les 2 premières salles contextualisent l’oeuvre de Christo, avec les premiers empaquetages, dans une autre salle on peut voir la Voklswagen de 1961 devant cette grande photographie de l’installation de la rue Visconti, en 1962, avec son mur de barils de pétrole, le « rideau de fer ». Il y a aussi ce portrait mondain typique de ce que faisait le jeune Christo dans ses débuts pour gagner sa vie.

C’est vraiment une exposition qui nous aide à comprendre, le processus créatif de l’artiste Christo qui signe seul au début ses projets puis, à partir à partir du Reichstag Wrapped en 1995, Christo et Jeanne-Claude co-signent leurs oeuvres temporaires dans l’espace.. (voir articles précédents- Christo & Jeanne-Claude, à Paris, triomphe annoncé ! et Christo et Jeanne-Claude, Paris ! Emballée ! )

Christo and Jeanne-Claude, Paris. NewYork. Crossing borders
Kunst Palast, Düsseldorf
7.9.2022 – 22.1.2023
Commissariat : Kay Heymer, Kunstpalast et Sophie-Marie Sümmermann
The Wellem Düsseldorf
Mühlenstraße 34
40213 Düsseldorf
Phone: +49 (0)211 547650622
E-Mail: contact@thewellem.com
Photo : Catalogue de l’exposition avec un avant-propos de Felix Krämer, un essai de Kay Heymer, une chronologie de Matthias Koddenberg et d’un interview par Dr. Sophie-Marie Sümmermann avec le couple de collectionneurs Ingrid and Thomas Jochheim. Edition Verlag Kettler.
La suite en Belgique, toujours à la poursuite des Poirier
S’arrêter sur le chemin pour le chef d’oeuvre des Primitifs flamands à Gand l’Agneau Mystique
S’arrêter à Gand en Belgique, se diriger vers la cathédrale Saint Bavon richement décorée de marbre en noir et blanc sculpté et voir ce chef-d’œuvre de l’histoire de l’art l’Agneau mystique réalisé en 1432 par les deux frères Jan van Eyck et Hubert van Eyck. Un retable de 18 panneaux sur bois représentant des scènes bibliques, les deux commanditaires Joos Vijd, un riche marguillier, et son épouse, Elisabeth Borluut y sont représentés. C’est une expérience unique de pénétrer dans cet ancien baptistère et de recevoir comme un éblouissement l’Agneau mystique. Je ne l’avais jamais vu, je me souviens avoir été marquée par le cours si passionnant dispensé par mon professeur d’iconologie, Frédérick Tristan (prix Goncourt 1983 pour les Egarés).


Coll. Cathédrale Saint-Bavon, Gand.
Les couleurs, le dessin, les personnages, la composition, tout est sublime et d’une fraîcheur extraordinaire. Les visiteurs sont subjugués par cette lumière divine qui émane de l’œuvre.
Quelle merveille de pouvoir toujours voir le retable, cette œuvre majeure des primitifs flamands qui a failli disparaître à plusieurs reprises, d’abord au moment des guerres de religion dans les Pays-Bas espagnols, puis à la Révolution. Les Français installent l’oeuvre dans le musée du Louvre pour la restituer après la défaite de Waterloo. Certains panneaux ont été vendus, d’autres coupés en deux, des copies d’Adam et Eve ont été peintes avec des peaux de bêtes pour remplacer les originaux et masquer leur nudité jugée trop choquante. Lors de la Seconde Guerre mondiale, Hitler l’avait préempté pour son musée et à la fin de la guerre les nazis l’ont caché dans la mine de sel d’Altaussee en Autriche. Ordre avait été donné de faire exploser la mine, ordre qui n’est heureusement pas exécuté. L’oeuvre est mise à jour intacte par les Monuments Men. Ce dénouement permet au polyptyque de retrouver sa place à l’intérieur du baptistère de la cathédrale, dans le cadre d’une protection sévère pour “l’œuvre d’art la plus convoitée, volée, tourmentée, du monde.”
La 2ème étape de restauration s’est terminée en 2021, il est prévu encore une 3ème phase.
Informations visite de la cathédrale et du retable Baptistère de la cathédrale Saint Bavon à Gand, Belgique
Et une dernière étape avant le retour en France : Acqua Scivolo
Nous arrivons à la fin de ce périple avec un objectif qui n’est pas des moindres, retrouver le belvédère élevé près d’Ostende par Anne et Patrick Poirier en souvenir de l’Abbaye des Dunes dont il ne subsistait que des ruines. Cette installation, Acqua Scivolo. a été réalisée en 2003 et faisait partie du projet Beaufort, l’art à la mer. On retrouve dans la forme de cette croix géante, le plan de la nef de l’abbaye, avec à l’intérieur des marches qu’on escalade une à une comme dans un phare, avec cette couleur rouge qui contraste tant avec la grisaille des côtes belges. Et toujours dans les oeuvres des Poirier, ruines et vision d’un monde dirigé volontairement vers le futur se rejoignent.


Conclusion : l’atelier de Lourmarin
Nous nous étions rencontrés , il y a un an au moment de leurs expositions dans le Sud de la France, à l’Abbaye du Thoronet, au château La Coste et au domaine du Muy (voir article précédent)
Ces jours-ci j’ai eu la chance de les revoir tous les deux dans leur atelier niché au milieu des oliviers de Lourmarin, dans un jardin constellé par leurs oeuvres, empreint d’une grande sérénité, là où ils réfléchissent et conçoivent leurs projets. Nous avons pu échanger sur leurs actualités présentes et futures, en janvier, ils seront à Milan. Nous avons évoqué la réception d’Anne Poirier sous la coupole, les dessins de l’épée par Patrick Poirier et les broderies de l’habit d’Anne avec l’intervention des métiers d’art, celle de l’orfèvre Marc Gassier pour l’épée, la brodeuse Céline Le Belz, meilleure ouvrière de France pour l’habit conçu par le couturier Mevan Kaluarachchi, d’origine sri lankaise. Un moment privilégié avec ce couple d’artistes qui reste un très beau souvenir comme ces trois jours avec mon amie Laure Martin Poulet.

« Notre travail n’est pas un travail théorique, c’est un travail qui est provoqué par les lieux, par le genius loci et évolue avec notre vie même…Il est empreint de pessimisme, mais, en même temps, quoi que nous fassions, il y a une dimension jubilatoire. Nous nous amusons beaucoup »
Anne Poirier – Entretien avec Anne et Patrick mené par l’auteure et Clément Nouet, catalogue de l’exposition
Anne et Patrick Poirier. La mémoire en filigrane, Sérignan, Musée régional d’art contemporain Occitanie, 2022, p 26


Un commentaire
Seilliere
Merci pour cette belle ballade artistique ! Ravie de retrouver les Poirier avec leur long chemin créatif !