Rencontre avec Astrid de La Forest
à l’atelier et sur les bords du lac Léman, pour sa nouvelle exposition au musée Jenisch à Vevey en Suisse.

Rendez-vous à l’atelier
Cela commence par un rendez-vous à Thomery sur les bords de Seine pas loin du château de Rosa Bonheur. Un ancien garage à bateaux devenu l’atelier de l’artiste Astrid de La Forest, au milieu des fleurs , un lieu enchanteur en pleine nature. Le voyage se poursuit à Vevey au musée Jenisch. Une exposition est consacrée à l’artiste, le commissaire étant l’historien d’art Florian Rodari, conservateur de la Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex.

L’atelier me plait avec cette multitude d’objets, les singes sculptés en bronze , modèles de son épée d’académicienne, les estampes qui sèchent, les dessins, la presse et les tarlatanes, gazes permettant d’essuyer les excès d’encre, suspendues sur les fils, tout cet ensemble est très harmonieux .
Première femme élue à l’Académie des Beaux-arts au fauteuil de la gravure, elle en a été la présidente pendant un an jusqu’en janvier 2023 et a créé ainsi un cycle de rencontres autour de personnalités du monde de l’art.

Sa carrière avait commencé avec le théâtre , auprès du metteur en scène Patrice Chéreau et du scénographe Richard Peduzzi , elle participait alors à la création de décors.
Mais ce sera la gravure, sa technique de prédilection qu’elle explorera et réinvente encore sans cesse. La voir procéder est passionnant, l’artiste donne toute sa dimension à une technique qui par son origine : les débuts de l’imprimerie, a tendance à ne pas être pris autant en considération que le dessin ou la peinture. Astrid de La Forest démontre le contraire, et place l’art de la gravure à son paroxysme, elle crée des monotypes, des oeuvres uniques.
L’atelier de gravure mythique Lacourière-Frélaut

Un apprentissage qui débute dans l’atelier de gravure mythique Lacourière-Frélaut créé en 1929 en haut des marches à Montmartre, là où Picasso, Braque, Chagall… se retrouvaient . Le fondateur de ce lieu, Roger Lacourière adorait initier les jeunes artistes à la gravure .
La fermeture des lieux en 2008 laisse orphelins tous ces nombreux artistes . Par chance elle rencontre Raymond Meyer, imprimeur très cultivé, installé dans ce village au bord du lac en Suisse à Lutry, cet homme qui a maintenant 80 ans et réalise toujours des prouesses va devenir son alter ego artistique
L’imprimeur doit être d’une grande précision avoir un œil, et Astrid de La Forest trouve réellement son expression chez lui. L’échange entre les deux est très important et apporte beaucoup dans ce travail malgré tout solitaire.
” Le noir et le blanc doivent dire ce que la couleur ne dit pas”
Avec Raymond Meyer tout est sous contrôle, entre les deux, une grande connivence s’installe. L’artiste utilise une pâte à base de colle mélangée à une poudre abrasive : le carborundum (toile émeri) qu’elle appliquera avec un pinceau selon une technique très gestuelle, cette danse comme le décrit si merveilleusement le commissaire Florian Rodari; puis elle saupoudre avec des grains plus ou moins fins qui retiendront l’encre et donneront ainsi du gris pâle au noir intense, selon la quantité utilisée et, toujours cette réserve derrière la presse, la révélation de ce qui va en sortir. Une plaque magique qui une fois utilisée conserve des traces laissant apparaitre ce “fantôme du monotype” avec parfois des détails inaperçus qui peuvent donner naissance à une nouvelle oeuvre avec une reprise à la pointe sèche, comme ce paysage de montagnes de 2011.

Pour cette exposition au musée Jenisch, elle a réalisé un grand polyptyque en cinq parties qui représente des arbres en mouvement à l’image de ses marches en forêt de Fontainebleau qui lui permettent de réfléchir, de penser.
Puis la plaque, puis ce dessin, elle se met à travailler avec son pinceau , une autre chose se passe, le mystère du dénouement avec cette incertitude de la création, la densité des noirs , le résultat inversé sur le papier.

Des résidences à l’autre bout du monde
Les résidences lui plaisent, lui sont nécessaires, parfois à l’autre bout du monde en pleine nature, dans des conditions difficiles, comme lorsqu’elle se trouvait en Tasmanie en 2010 à 4h de route du village voisin et, dans ses valises seulement deux plaques et des carnets qu’elle couvre de dessins qui nourrissent son travail de l’atelier.
Villa Médicis
Un travail solitaire, une remise en question, qu’elle retrouve aussi à la Villa Médicis.
Pendant cette résidence à la Villa Médicis, elle fabrique ses carnets sur lesquels elle peint les paysages de la Villa et de Rome. Cette notion d’archives, l’histoire de l’arbre d’Horace Vernet, lui plait. Elle prépare ses papiers avec ce pigment mélangé avec de la colle, cette même recette que Balthus utilisait pour les patines de la villa, la couleur jaune obtenue donne cette lumière très spéciale. Ses carnets sont la base de son imagination. Dessiner dehors avec de la couleur est un exercice très exigeant, avec le noir et blanc elle se sent plus libre.
Le dessin sur le motif
Pendant que Raymond Meyer travaille la gravure, elle en profite pour dessiner sur le motif avec ce besoin de voir et de ressentir, d’être émerveillée, et, de retrouver ensuite dans l’atelier, des sensations très libératoires. L’œil fait lui même sa sélection dans ce que va garder la main. Elle dessine vite, cette habitude qu’elle a pris dans les procès d’assises depuis ce voyage à New-York qui fut le déclencheur de sa carrière grâce à sa rencontre de la journaliste Isabelle Baechler qui engage Astrid pour faire des dessins judiciaires pour la télévision. Je regarde tous ces portraits de criminels et d’avocats célèbres, croqués à toute allure dans les tribunaux. De cette expérience, elle conserve cette facilité à saisir l’instant, l’observation du monde. Autre surprise dans l’exposition, celle de voir les portraits d’une femme, il s’agit de Nadia, qu’elle trouve si inspirante, encore un modèle absolument pas académique, mais une femme expressive en mouvement, habillée, à l’opposé du modèle d’atelier classique. En regardant, ces arbres, ces animaux, on ressent cette émotion qu’elle entretient avec le sujet, l’empathie qu’elle a pour ce singe enfermé dans ce zoo. Au premier abord, le sujet semble lisse et pourtant, sa représentation provoque cet arrêt sur image qui laisse entrevoir l’âme de l’intéressé.

L’imprimerie est vraiment un laboratoire de recherche qui demande beaucoup de patience, la technique perpétuellement renouvelée, les formats aussi, l’artiste s’intéresse aux grands formats ce qui augmente la complexité, l’utilisation d’encres noires à l’huile et certaines de couleurs. Pour cette dernière œuvre réalisée pour l’exposition, il a fallu toute l’ingéniosité du graveur pour produire et porter ces 5 plaques de 2 X 1m sous la presse.

Une oeuvre face au monde
Lors de ma visite de l’exposition , je suis sous le charme du commissaire Florian Rodari, lorsqu’il parle d’Astrid de La Forest, il a l’oeil et les mots justes pour décrire son travail, pénétrer l’oeuvre de l’artiste, avec lui tout devient limpide, simple. J’aime cette sensibilité avec laquelle il observe les “images” de l’artiste, singes, oiseaux, arbres, le modèle Nadia, tous s’animent sur les paroles poétiques de l’historien.
“…Il y a deux ans, Astrid a choisi pour son exposition à Arles, la première ligne d’un poème de Paul-Jean Toulet En Arles : Prends garde à la douceur des choses, et cela révèle bien la beauté qu’elle voit dans le monde, que nous voyons tous au crépuscule devant un oiseau, un singe, une chèvre, un pin, ce sont des choses en face desquelles nous sentons qu’elles ne sont pas complètes, c’est cette douceur dont elle prend garde me semble-t-il, ces singes ne sont pas anecdotiques, ils courent, ils respirent, ils sont dans le monde. on va quelque part avec cette oeuvre, on est tout le temps en mouvement. quand elle prépare ses grandes plaques de 1 x 2 m pour le musée, on la voit danser parce que c’est une oeuvre qui respire car elle sait que le monde qui nous entoure respire et c’est cela qu’elle traduit. Je crois que c’est la grande leçon de cette oeuvre, elle est en face du monde, elle n’est pas contre, elle n’invente pas un nouveau monde, elle ne dénonce pas ce monde, Tal-Coat disait on n’est pas face au monde, ce n’est pas nous qui le saisissons, c’est le monde qui nous saisit. Il y a ce sentiment très fort dans les images d’Astrid, cette ombre portée que nous avons choisie pour donner le titre à l’ouvrage que nous avons fait ensemble…”
Florian Rodari, commissaire de l’exposition
Deux expositions au musée Jenisch

A l’origine de cette exposition, la directrice du musée Nathalie Chaix, sur le conseil de Florian Rodari, avait prévu d’exposer une oeuvre d’Astrid de La Forest dans cette autre exposition Gardiens du silence, la représentation des arbres à travers cinq siècles de création en commençant par la gravure de Durer datée de 1504 et se terminant par les arbres d’Astrid. Mais en visitant l’atelier de l’artiste, Nathalie Chaix décide alors de monter une autre exposition rétrospective de ses oeuvres. Et c’est ainsi que l’artiste se trouve doublement exposée dans ce musée suisse, avec comme point d’orgue cette oeuvre dans les escaliers, produite pour l’occasion, cette danse des arbres au carborundum , l’occasion d’une belle escapade sur les bords du lac.

Cette exposition dans ce musée a tout son sens, existant depuis 1897, suivant la volonté de sa donatrice Fanny Jenisch (1801-1881), il possède un très grand fonds gravé de plus de 40’000 œuvres de la Renaissance à nos jours.

Catalogues des expositions, musée Jenisch à Vevey:
Astrid de La Forest-Florian Rodari Coédition Snoeck et Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex.
Gardiens du SilencE. Editions Scheidegger & Spiess

Astrid de La Forest / Figures du vivant Gravures et monotypes
Gardiens du silence
Musée Jenisch Vevey Suisse
jusqu’au 29 octobre 2023
Avenue de la Gare 2 – 1800 Vevey Suisse
Photo : Astrid de La Forest et Florian Rodari, commissaire de l’exposition Astrid de La Forest – Figures du vivant.

