Chaumont-sur-Loire sème des graines d’espoir
The Gaze au Festival international des jardins #édition 2023
Par Marie Simon Malet
Le domaine de Chaumont-sur-Loire est un endroit merveilleux. Situé entre Amboise et Blois, il est devenu, en une quinzaine d’années, l’un des sites les plus visités du Loir-et-Cher. La nature y est Reine : elle est adulée et célébrée par des jardiniers, paysagistes et artistes venus des quatre coins du globe. Une fois n’est pas coutume, je me rends au Festival International des jardins, l’incontournable rendez-vous des amateurs de jardins et des esthètes.

Un site magique et une histoire de femmes
Sous l’impulsion de sa Directrice, Chantal Colleu-Dumond, le domaine de Chaumont mêle Art contemporain et art des jardins.
Le château semble tout droit surgi d’un conte de Perrault, il est gardé par de majestueux cèdres, gigantesques hérauts habillés de vert sapin aux longs bras posés sur l’herbe. Une fois franchi le pont-levis, on découvre une cour Renaissance et une sublime terrasse surplombant la Loire.
Propriété de la Reine Catherine de Médicis qui y accueillit Nostradamus et Cosimo Ruggieri, son magicien, le château passa ensuite aux mains de sa rivale, Diane de Poitiers, en échange de celui de Chenonceau. L’ancienne maîtresse d’Henri II y séjourna peu mais en poursuivit la construction jusqu’à sa mort en 1566. Elle lui donna sa physionomie actuelle.

Aux siècles suivants de prestigieux hôtes, Germaine de Staël, Chateaubriand, Byron… s’y succéderont jusqu’à ce qu’en 1875, Marie-Charlotte-Constance Say, du haut de ses dix-sept ans et forte de sa fortune sucrière, en fasse l’acquisition. Dans l’escalier d’honneur, des photographies témoignent d’un passé de fêtes grandioses et d’invités prestigieux dont le plus célèbre d’entre eux est peut-être Miss Pundgi, éléphante offerte par le Maharadjah de Kapurthala. Ayant épousé le prince Henri-Amédée de Broglie, Marie-Charlotte-Constance et son époux s’attelèrent à la rénovation du château, le dotant du confort moderne : eau courante, électricité et système de chauffage par le sol fonctionnant par le truchement d’un calorifère, ils firent édifier de luxueuses écuries et une ferme modèle. Dès 1880, le Prince de Broglie demandait au paysagiste Henri Duchêne de redessiner le parc.
Aujourd’hui des œuvres d’artistes contemporains aussi célèbres que le plasticien ghanéen El Anatsui -dont la tapisserie, composée de plus de deux millions de capsules métalliques tissées de cuivre, orne trois longs murs des écuries-, le brésilien Henrique Oliveira transportent les visiteurs dans un univers poétique. Dans le château, la fabuleuse chapelle de Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger et la bibliothèque cristallisée de Pascal Convert poursuivent l’enchantement.

De l’Art au jardin
Deux fois l’an, des artistes de renommée internationale, plasticiens et photographes sont invités à venir créer et exposer, sur le thème de la nature, des œuvres inédites “in situ” dans le château, les écuries et les bâtiments de la ferme, ou “in natura” au cœur du parc du Domaine. Ainsi deux rendez-vous, « Chaumont- Photo-sur-Loire » -l’hiver- et la « Saison d’art » -au printemps- complètent le Festival International des Jardins.
J’aime beaucoup aller à Chaumont pour l’ouverture des expositions photographies. En novembre, le parc et le château sont enveloppés de brumes mystérieuses, la nature est une belle endormie magnifiant les installations des artistes, Andy Goldsworthy, Eva Jospin, Tadashi Kawamata, Giuseppe Penone, Anne et Patrick Poirier, Bob Verschueren…
Au printemps, tout change, les fleurs, plantes et herbes folles se plient aux projets les plus expérimentaux. Depuis 1992, plus de 800 jardins ont été créés pour le Festival. Ce laboratoire de la création paysagère n’a cessé d’évoluer, de défricher les tendances et de fourmiller d’innovations. Telle est, en tout cas, la mission des concepteurs qui, chaque année, planchent sur un thème imposé pour être sélectionnés pour le concours. Vingt parcelles d’environ 210 m2 sont attribuées à l’issue de celui-ci, fin octobre. Et jusqu’au printemps suivant, les candidats qu’ils soient architectes paysagistes professionnels, artistes ou étudiants des écoles de paysage ou d’architecture, d’horticulture, de design ou d’arts décoratifs font germer leurs idées.
Le thème de l’édition 2023 est à la fois prospectif et plein d’espoir : Le Jardin résilient.
«Comme le soleil, la tête fouillera la mer brillante. Les poissons vivants de la mer Noire ne feront que bouillir»
annonçait Nostradamus dans ses Prophéties en 1555.
Après avoir proposé, l’an dernier, pour fêter ses 30 ans (1992-2022), le « Jardin idéal », Chantal Colleu-Dumond a mis les paysagistes, designers, artistes, plasticiens au défi de la crise climatique.
« Les concepteurs invités dans le cadre de l’édition 2023 ont su proposer des projets tentant d’ouvrir des pistes permettant au jardin, condensé de vie et de biodiversité, de résister aux outrances de l’Anthropocène. »
Chantal Colleu-Dumond
Qu’est-ce qu’un jardin résilient ?

C’est un jardin qui se reconstruit après des traumatismes, qu’ils résultent de catastrophes naturelles, incendie, montée des eaux, sécheresse ou de catastrophes anthropiques.
Ce sont deux Jardins Kintsugi où le végétal vient réparer les craquelures des sols, selon la technique japonaise qui restaure d’or une céramique cassée, un Jardin des cendres qui scénographie la renaissance de la nature après un incendie; des plantes et des arbres qui s’adaptent au changement climatique tels le chêne (arbre qui s’acclimate le mieux) du Jardin des Chênes, inspiré par un poème de Robert MacFarlane et Jackie Morris Le Petit livre des sortilèges, ou encore les plantes halophiles du Chant du Sel, jardin entièrement composé de végétaux résistants aux hautes doses de salinité pour parer à la transgression maritime, Le corridor végétal en saule tressé qui offre des îlots de fraîcheur en ville, des enclos de biodiversité et de vie pour la faune et la flore dont on a tant à apprendre. De derrière les fagots est une ode aucastor hydrologue, décidément très inspirant pour les artistes (voir le travail de l’artiste Suzanne Husky).

C’est encore un jardin nourricier, Jardin Patchwork, planté de fleurs et bulbes comestibles,qui alimente aussi notre imagination, nous apaise étant lieu de contemplation ou de méditation. Bref, un jardin qui panse les blessures de la Terre et soigne ses habitants.
« Ici, les plantes sont douées de tolérance plutôt que d’un esprit de compétition. »
James Masson
« Cultivons notre jardin »

Observer, apprendre des écosystèmes, des plantes qui attirent des insectes bienfaisants, de leur compagnonnage, des arbres qui échangent, laisser libre le vivant. Faire du bien aux végétaux pour se faire du bien. Cajoler la nature, l’inviter en ville… Demain nous prendrons soin de notre jardin pour cultiver notre faculté de résilience face à la crise climatique et aux incertitudes qu’elle soulève.
En dehors du concours, Cynthia Fleury, les paysagistes, Bas Smets, James Basson et Franck Serra, deux artistes plasticiens, Evor et Catherine Cocherel ont eu « Carte Verte » pour nous délivrer leur vision de la résilience horticole.

La philosophe et psychanalyste, Cynthia Fleury, associée au designer Antoine Fenoglio, transcrit, dans le Jardin du Verstohlen, leur charteéponyme. C’est un jardin humaniste comprenant les dix points essentiels à l’homme définis par la Charte « qui ne peuvent lui être volés » : horizon, silence, beauté, soin aux morts, besoin de se recueillir, d’échapper au contrôle panoptique.
Le Nantais Evor, a conçu Hortus Spei, le jardin de l’espoir, unejungle florale et nomade (toute en pot) qui peut être déplacée et recomposée comme un trésor végétal à préserver,

« Un jardin demande autant d’empathie qu’un humain »
Evor
Serait-ce l’aube d’une nouvelle ère où nous considérerons la nature comme un être cher à sauver et dont nous voudrons apprendre avant qu’il ne nous quitte ?
À Chaumont, on peut se lover dans les Nids d’humains de Catherine Cocherel, se cacher dans des cabanes, emprunter des tunnels feuillus, déguster des fleurs, prendre des chemins de traverse et s’arrêter pour contempler le paysage, se ressourcer, faire l’école buissonnière en philosophant et même – Qui sait ?- devenir aussi sage que les arbres.

Pour finir quelques tendances glanées au jardin :
De la couleur pour des sols insolites : blanc, bleu azur, gris charbon, zinc, rouge, ocre vernissé, bois brûlé
Des paillages inédits en copeaux de charbon, cailloux de verre, coquilles d’huitre, fèves et noisettes,
Des savoir-faire régionaux,
Des nids-refuge et des cocons de silence
Du recyclage toujours avec des réemplois (Atelier ArZinc) et des jardins qui se transporteront ailleurs
Des jardins comestibles
La nature en ville avec des arbres, des plantes qui s’adaptent à la chaleur, au manque d’eau ou à la montée des océans.
Festival international des jardins #édition 2023
« Jardin résilient »
DOMAINE DE CHAUMONT-SUR-LOIRE
41150 Chaumont-sur-Loire- TÉL : 02 54 20 99 22
Jusqu’au 5 novembre 2023
Nouveautés 2023 :
L’hôtel Le Bois des Chambres, une réalisation de Patrick Bouchain à dix minutes à pied du château
« Les Conversations sous l’arbre » des rencontres mensuelles autour du paysage, de l’art et de la nature, réunissant philosophes, scientifiques et artistes organisées dans les granges de l’hôtel du Bois des Chambres.
Photos de Marie Simon Malet
Légende photo à la une : le ciel depuis l’intérieur du nid de l’artiste Catherine Cocherel : refuge pour oisillon humain

