Les rencontres photographiques d’Arles 2016

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Escapade à Arles avec Florence Briat Soulie, Agnes Bitton et Myriam Trefi.

Les rencontres d’Arles : deux mots magiques, un lieu unique dédié à la photographie. Ici, artistes , professionnels , amateurs  se retrouvent , découvrent , visitent cette ville magnifique avec ses arènes et son théâtre antique. Arles redevient, le temps des rencontres photographiques, la capitale des Gaules qu’elle a été (Arelate) à la fin de l’Empire romain. Et surtout,  Ils ont tous le même désir la recherche de la belle image.

Je ne pouvais manquer ce rendez-vous de l’été !

Gary Winogrand ©Thegazeofaparisienne
Gary Winogrand
©Thegazeofaparisienne

Cette année le directeur Sam Stourdzé nous entraîne dans un circuit empreint de gravité, les sujets abordés sont la guerre, l’intolérance, l’avortement, l’écologie, le racisme… L’actualité est au coeur de la programmation des Rencontres photographiques d’Arles.

Cette escapade marathon débute dans l’espace “Nonante Neuf” investi par la Suisse, par une visite de  l’exposition  jungle show de Yann Gross parti sur les traces du fleuve Amazone puis la découverte de  l’univers d’Augustin Rebetez (grand prix Images Vevey 2013/2014) qui présente son musée Carton, une histoire de l’art revue et corrigée. Je participe à son prix du public et vote allègrement pour Félix Volothon !

 Félix Volothon - Musée Carton- Augustin Rebetez
Félix Volothon – Musée Carton – Augustin Rebetez

Cette présence Suisse est l’occasion, pour moi, de découvrir ce festival gratuit d’Images Vevey, au bord du lac Léman, du 10 septembre au 2 octobre 2016. Il a lieu tous les deux ans et offre le Grand Prix Images Vevey doté de 40 000 CHF.

Hara Kiri n°254 Le Banquet - 1982
Hara Kiri n°254
Le Banquet – 1982

Suite de la visite dans la grande halle , je ris en regardant les photos parodiques de Hara Kiri :“Georges Marchais est rentré de Moscou, dans sa valise une descente de lit en véritable peau d’Afghan (…) Madame Marchais est ravie..”, des textes qui ne seraient plus de bon ton aujourd’hui et qui résonnent étrangement dans le concert triste des évènements plus graves du moment. Le commissaire de l’exposition nous rappelle ainsi (involontairement ?) que l’Afghanistan est le pays du “Grand Jeu” (The Great Game), le coeur de la rivalité des impérialismes coloniaux russe et britannique, la matrice de l’intégrisme sunnite en Asie centrale.

Zanele Muholi,
Zanele Muholi,

Je retrouve les planches-contacts du photographe américain  Garry Winogrand (1928-1984) et me rappelle cette exposition qui m’avait enchantée au Jeu de Paume.  (Article Gary Winogrand). Un voyage de 30 ans de 1950 à 1980, dans les Etats-Unis en passant par New-York, le Texas, Miami et la Californie du Sud, l’artiste a laissé des milliers d’images. Ces planches-contacts sont la matière brute de l’artiste, décédé avant qu’il ait pu réaliser les tirages, et dont les négatifs sont aujourd’hui au Centrer for Creative Photography de Tucson (Arizona), institution originale et unique dans la conservation du patrimoine photogrpahique. Garry Winogrand ne tirait pas systématiquement les images sélectionnées sur ses planches-contacts : à sa mort en 1984, à 56 ans, il a laissé derrière lui plus de 6 500 rouleaux de pellicule datant des dernières années de sa vie – des films jamais tirés, voire jamais développés.

« à quoi ressemblent les choses quand elles sont photographiées » Gary Winogrand

Ethan Levitas  propose simplement une réflexion,  l’image disparait boycottée par le photographe : “photographie de l’agent de police à qui j’interdis de comprendre, à cause de cette photographie. Procès-verbal pour incident N°94. ” 

Melik Ohanian
Melik Ohanian

Passage fort devant une photo géante qui présente une belle odalisque voluptueusement allongée, en noir et blanc de Zanele Muholi, connue pour sa position forte auprès de la communauté noire homosexuelle d’Afrique du Sud. Chaque jour de l’année la photographe incarne un personnage et réalise un autoportrait d’elle-même, “Faces and Phases”. Elle met l’accent sur les contrastes utilisant le noir de la peau, par son interprétation, elle cherche à casser les stéréotypes de la “négritude”

Mauvais Genre, à nouveau,  à l’Atelier des Forges avec l’étrange collection de Sébastien Lifshitz, des images chinées de travestis qui laissent arrière-goût ambigu, entre la beauté et la noirceur. Je découvre l’histoire de la belle Bambi, nom de scène de Marie-Pierre Pruvot, transsexuelle très connue des années 50-60, Sébastien Lifshitz retrace l’histoire, en photos, du très beau petit garçon qui devient la sublime femme Bambi ! et qui a fait l’objet d’un court-métrage nommé au Césars en 2014.

Don Mac Culin
Don Mac Culin

Pause-déjeuner à “l’ouvre-boîte”, le bar sur le pouce ouvert par Alexandre Arnal, petit frère d’Armand Arnal (“la CHassagnette”) qui a déniché le bon et beau concept arélate pour déjeuner sur le pouce entre deux expositions? Nous enchaînons, direction centre d’Arles, un petit tour pour se rafraichir autour du cloître Saint-Trophime et direction musée de l’Archevêché où j’admire la composition de Paul Bogaers qui réunit une mariée à une chute d’eau, le résultat est spectaculaire !

Eglise Sainte-Anne je rêve devant les vestiges du temple de Baalbek ou de Palmyre photographiés en temps de paix, avant la folie destructrice de Daech, par Don McCullin (prix World Press Photo 1964 pour son reportage sur la guerre civile à Chypre). Un étrange sentiment de coïncidence des temps me submerge par le rapprochement en cette église, désaffectée depuis 1826 et musée lapidaire de la ville consacré au monde païen, des vestiges religieux du paganisme antique : une forme de résonance entre les temps anciens et les temps présents m’interpelle dans la fraîcheur murale de cet édifice. Les hommes oublient ce que la mémoire des pierres conservent.

Katerina Jebb ©Thegazeofaparisienne
Katerina Jebb
©Thegazeofaparisienne

Je termine en beauté au musée Réattu avec l’exposition des portraits de Katerina Jebb, “Deus ex Machina”. Depuis 1996, la plasticienne aime nous scanner, les visages semblent percés à jour, radiographiés. Elle crée des natures mortes à partir des ateliers de Balthus, PIcabia, une lettre de Napoléon. A la fois beau et morbide.

Je ne peux m’empêcher de jeter un coup d’œil avant de partir aux portraits de Picasso, si présent dans cette ambiance du Sud méditerranéenne aux arènes d’Arles, et d’admirer cette belle statue en bois de Zadkine.

Pour finir un passage chez Actes Sud s’impose, la maison d’édition du Sud créée par Hubert Nyssen (1925-2011). Bien installées à la terrasse nous choisissons de dîner face aux arènes dans un charmant petit restaurant “Cador”.

Florence Briat Soulié

Impressions d’Agnès Bitton sur les Rencontres…

Remuée par l’hommage violent de Laia Abril aux 47 000 femmes qui meurent encore chaque année des suites d’avortements clandestins ( “Une histoire de la misogynie, Chapitre un: de l’avortement”), je suis entrée par la sortie dans l’espace suivant 

APRES LA GUERRE.

Alexandre Guirkinger - Ligne Maginot ©Thegazeofaparisienne
Alexandre Guirkinger – Ligne Maginot
©Thegazeofaparisienne

De ces grands formats disposés pour la promenade coule une nature envahissante et souveraine. 

Haut chêne sec dévoré de chèvrefeuille,  feuilles mortes, impression soleil dormant, masse moussue réflectrice de lumiere dans la fraicheur d’un sous bois, prairie de chaumes aux allures de land Art.

Ces photos apaisent et intriguent. Interroger le cartel au titre inattendu. 

“Ligne Maginot”!

Revenir sur ses pas…

Alexandre Guirkinger - Ligne Maginot
Alexandre Guirkinger – Ligne Maginot

Relire l’histoire de cette végétation bienveillante qui dissimule blockhaus, bunkers, entrailles blindées de la Défense, bétons fanés sur lesquels le lierre coule, immortel.

Alexandre Guirkinguer, reporter de guerre? D’une guerre que la nature livre à la guerre, en un land Art inégalé.

Copyright Don MacCullin 1969
Copyright Don MacCullin 1969

Sa “ligne Maginot” s’observe en parallèle des “champs de bataille” de Yann Morvan où la guerre est absence, où l’image est silence, et de l’exposition consacrée à Don Mac Cullin qui, lui,  livre la guerre à bout portant, yeux dans les yeux, la détresse, jusque dans les paysages du Somerset. Génie féroce.

Agnès Bitton

La visite de Myriam Trefi

Arles, romaine et minérale s’éveille d’un sommeil de pierre et nous ouvre les bras pour accueillir un public international et tout aussi varié que les œuvres qui y sont exposées. Tandis que les anciens ateliers SNCF sont devenus autant de lieux d’exposition par la grâce des cimaises accrochés dans ces magnifiques et vastes hangars, la tour de la fondation Luma, œuvre de Frank Gehry s’élève en nous révélant sa structure de béton, promesse d’un nouveau tourbillon de création architecturale.

Ma promenade dans le parc des ateliers sera un cheminement à la recherche du genre, féminin, masculin, ambigu ou mauvais, ou mutilé à cause de sa capacité à procréer.
Les photographies, et en particulier celles montrées dans le parc des ateliers, ont un effet révélateur au sens chimique du terme qui donne à voir les troubles de l’identité sexuelle, raciale, sociale de nos sociétés traversées par cette opposition des genres masculin et féminin, opposition trouble et mouvante.

La série d’autoportraits de Zanele Muholi est saisissante à cet égard, sud-africaine représentante de la communauté LGBT, elle exprime dans ses autoportraits quotidiens sa féminité à travers ses déguisements ainsi que son identité historique et raciale qu’elle se réapproprie à travers les pigments de sa peau noire volontairement accentués dans ses clichés noir et blanc. Elle se déguise pour mieux se retrouver, s’affirmer, exister et finalement s’exposer magnifique et lascive sur toute la langueur d’un mur, telle l’Olympia de Manet drapée d’un drap blanc et où la femme noire (elle) a le premier rôle et non plus celui de la domestique.

Bon ou mauvais genre, jugement de valeur ou erreur originelle ? Les centaines de clichés amateurs, non signés, de la fin du dix-neuvième siècle au milieu des années soixante, retracent en Europe, aux Etats-Unis ou même en Asie la confusion des identités. Hommes travestis, entre eux dans l’intimité à la recherche de la « normalité » de femme au foyer américaine, ou dans des tenues glamour pour faire la fête et fréquenter des cabarets ; c’est bien l’histoire de la répression qui nous est comptée.

La répression de son propre désir sexuel jugé contre nature car il se porte vers le même sexe mais également la répression de la loi car l’inclination homosexuelle est punie par la loi dans bien des états américains. Pourtant, d’autres images ont plus de légèreté, les jeunes filles américaines qui à l’issue de leurs études dans des universités féminines se travestissent en garçons pour mimer des scènes de mariages auxquels elles se destinent une fois leurs études achevées. Le Kabuki japonais, élève le travestissement au rang d’art et devient partie intégrante de la culture contribuant à intégrer l’ambigüté pour mieux la rendre invisible.

C’est enfin la violence d’être femme que nous montre Laia Abril à travers une installation très complète mêlant objets, textes, fresques et portraits photo de femmes pour exprimer les entraves mises à l’avortement. Difficulté d’y avoir accès dans les pays où cela est interdit, difficulté de vivre avec le souvenir de ce geste, avec le poids de la religion catholique qui l’interdit. Leia Abri collecte des éléments aux Etats-Unis et en Amérique du Sud (Brésil, Argentine) pour exprimer la perte de contrôle des femmes sur leur corps, quand l’état, la loi, la religion et la médecine en prennent possession. On pense au fascisme, au nazisme, à la dictature et on ressent la fragilité des acquis et l’âpreté des luttes pour la liberté.

Cette même violence se fait jour dans les photos de Don McCullin, à l’église Sainte-Anne, clichés en noir et blanc de quartiers pauvres en Angleterre, à Londres où l’on a le sentiment de voir des clichés pris à l’époque de Dickens. Mais non, nous sommes dans les années soixante-dix. L’Europe serait-elle passée par là ?
Portraits d’hommes et de femmes bouleversants de solitude et de fragilité qui nous hanteront longtemps comme autant de symptômes d’une société que l’art nous donne à voir quand le réel nous aveugle.

La clarté des images contraste avec la confusion des sentiments : comme devant la beauté des clichés du temple de Béel à Palmyre du même McCullin,
on est saisi d’un vertige parce que l’on connaît la brutalité qui lui a été faite.

Myriam Trefi
Marseille, 22 juillet 2016

 

Adresse restaurant : Cador – 53 rue Voltaire – 13200 Arles  tel : 0951494488

Restaurant : Cador ©Thegazeofaparisienne
Restaurant : Cador ©Thegazeofaparisienne

 

 

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