Nathalie Rodach: Exposition “Call Out”, chez Andata Ritorno

Rencontrer Nathalie Rodach, l’entendre parler de son cheminement artistique, de ses questionnements, de ses recherches et des réponses qu’elle y trouve, c’est comme se plonger dans le livre de nos vies. Je pourrais rester là des heures, à écouter son récit des mythes fondateurs de nos civilisations et y puiser un sens finalement simple, clair. Comme elle le décrit elle-même, Nathalie Rodach pratique l’Art de la “Philosophie Plastique”.
Dès l’enfance, elle sculptait, dessinait, et pourtant elle ne s’est pas aventurée tout de suite vers une destination artistique . “je n’étais pas prête” commente-t-elle, ni pour l’Art ni pour la philosophie: à 17 ans, la philosophie me paraissait même hostile, inquiétante”. Bien plus tard, après avoir exercé plusieurs vies professionnelles dans les media, l’éducation ou les nouvelles technologies, l’Art s’impose à elle de manière prégnante. Elle lui laisse prendre la place qui lui revient. Ce qu’elle faisait ou sentait de façon instinctive est désormais passé à la conscience . Elle pousse ses réflexions, puise dans les textes des mots, des idées qui résonnent en elle et sont la source de son travail artistique.

A Genève, elle présente le deuxième volet de son exposition “Call in/Call out “, sur les “mutations” successives que nous expérimentons dans notre vie.
Le premier volet, exposé à New York (Call in) en novembre 2016, portait sur les mutations intérieures. Moment où l’on se construit soi-même, où l’on prend conscience de soi. Le lieu de représentation de cette phase est le Cocon, d’où l’on émergera ensuite pour aller à la rencontre de l’extérieur, des autres . Car il s’agit bien de “Commencer par soi mais (de) ne pas finir par soi” selon Martin Buber.
Le deuxième moment est justement le “Call out“. Cet instant de passage entre Intérieur / Extérieur qui correspond à l’entrée dans le monde, la confrontation fructueuse à l’extérieur qui nous transforme et trouve comme lieu d’accueil le Nid. C’est le propos de l’exposition Genevoise actuelle.

L’artiste y dévoile le fruit de sa réflexion sur la Création: des oeuvres inspirées par plusieurs textes philosophiques et religieux dont ” le commandement du Nid” du Deutéronome :
« Si tu rencontres un nid d’oiseau sur quelque arbre ou à terre, de jeunes oiseaux ou des œufs sur lesquels soit posée la mère, tu ne prendras pas la mère avec sa couvée – Tu es tenu de laisser envoler la mère, et de t’emparer des petits ; de la sorte, tu seras heureux et tu verras se prolonger tes jours. »
Quel sens lui donner? Un sens littéral, destructeur: on tue la prochaine génération, on détruit, à chaque fois, la production de la mère qui ,de ce fait, devient vaine. Ou un sens symbolique, créateur: l’oiseau est la source de la création et les oisillons en sont les fruits . En préservant la source, les fruits sont infinis. Les fruits de la mère nous nourrissent et sont donc des créations précieuses. C’est cette oscillation entre sens littéral et symbolique qui est au centre de la réflexion de l’Artiste. Les visiteurs pourront, à leur tour, la poursuivre en découvrant une vingtaine d’oeuvres mêlant installations, vidéos et dessins.

Une installation video fait le pont entre les deux expositions de NY et Genève. Réalisée à New York , elle documente l’instant où l’immense sculpture du Cocon, en bois et verre filé, est détruite, pour symboliser la sortie du Cocon. Le film est projeté sur des oeuvres de papier poinçonnées que Nathalie Rodach nomme “les passages de temps”. De dedans au dehors, c’est le mouvement que nous faisons maintes et maintes fois dans notre vie . De l’état de repli pour se (re)construire vers celui où l’on brise le cocon pour accueillir toutes les possibilités qui nous sont offertes. Une petite mort pour une renaissance.
Dans la première grande salle nous sommes accueillis par un grand (h)être, “le Nid du Nid”. Sa souche magnifique et ses immenses tronçons sont marqués par l’histoire de l’arbre, les traces du temps et l’intervention de l’artiste qui lui rend hommage .

Cette oeuvre est puissante, se dégage d’elle une force de nature brute, mêlée à la finesse des contributions de Nathalie Rodach. Elle apporte à chaque partie un sens, un message. Des passages du temps dont les points creusés suivent les cernes de l’arbre, des feuilles d’or ou d’argent qui le sacralisent ,des fils rouges représentant le flux du sang et donc la vie, des textes bibliques gravés, qui portent des pensées sur la création. Tel ” le rêve de Nabuchodonosore”, que l’Artiste a pyrogravé en hébreux sur la souche du hêtre.
La seconde salle, éclairée, est celle de la “Naissance”. Au sol des écritures racontent l’expérience de l’Artiste avec la naissance, au sens littéral et symbolique. Que faire de nos vies? Rester figer ou au contraire avancer, être acteur et “remuer le monde” ? Par terre, le Cocon de New York y est immortalisé par un phonogramme. Sur les murs, j’admire ses dessins à l’encre, courbes tissées, poétiques, qui me font penser à des fleurs, des danses, des formes organiques. Des fils de vie que Nathalie a tracés, en allant là où sa main la conduisait.

Une troisième petite salle présente 3 vidéos, que Nathalie a réalisées à l’issue de son travail de scénographie avec les ballets Vertigo. On retrouve le thème de la naissance, de la libération du cocon. La danseuse subit une forme de mue, elle perd peu à peu des fragments de peau. Chacune des 3 vidéos présente une étape, un angle particulier. C’est beau, plein de grâce, tout en dégageant une vraie tension. J’aime ces films, leur lumière, leur rythme, leur musique dont émane une atmosphère envoutante, jusqu’à leurs boitiers anciens, ouverts comme des écrins.

Allez voir cette exposition, entrez dans l’univers philosophique et artistique de Nathalie Rodach qui questionne si bien le sens de la vie.
Caroline d’Esneval
Nathalie Rodach
Call Out
Andata Ritorno – 37 rue du Stand, Genève
jusqu’au 18 Février seulement !!

