Nicolas de Staël, la peinture comme seule issue

THE GAZE OF MARIE SIMON MALET

Denise Colomb Nicolas de Staël dans son atelier rue Gauguet. Été 1954 Photo © Donation Denise Colomb, Ministère de la Culture, Médiathèque du patrimoine et de la photographie, Dist. RMN-Grand Palais / Denise Colomb © RMN-Grand Palais

Avant de vous faire découvrir l’exposition vue par Marie Simon Malet, j’aime me rappeler cette rencontre avec Nicolas de Staël ou plus sérieusement, son fils Gustave, également artiste (cf article précédent).  Nous discutons, nous parlons d’art et naturellement, nous nous donnons rendez-vous dans l’atelier de son père niché dans le 14e.

C’est avec beaucoup d’émotion que j’arrive à ce rendez-vous dans cet immeuble moderniste construit par l’architecte Marcel Zielinski, 8 mètres de hauteur, une belle lumière idéale où Nicolas de Staël pouvait peindre, parfois à même le sol. Devant mes yeux se trouvent toutes ses toiles empilées contre les murs. Un vrai trésor !  la table palette de Pierre Charreau aperçue sur les clichés noir et blanc de son atelier de la rue Gauguet par Denise Colomb est devant moi, chaque tableau , petit, grand m’enchante, les couleurs, les formes découvrent les paysages, personnages qui inspiraient le peintre. 

Vue de l’exposition : au fond : Nicolas de Staël Parc des Princes 1952 Huile sur toile 200 x 350 cm Collection particulière © Adagp, Paris, 2023

Gustave de Staël et sa femme Elena Prentice ont créé les éditions Khbar Bladna au Maroc à Tanger, de petits livres rares voir introuvables, qui proposent des textes inédits comme celui-ci Les gueux de l’Atlas, reportage sur le Maroc par Nicolas de Staël, édité à nouveau à l’occasion de cette nouvelle exposition.

Enfant d’artiste est une vraie responsabilité, comment gérer la mémoire, les projets d’expositions, l’authentification des oeuvres, le catalogue raisonné, les archives, les éditions, la cote, les reproductions et bien-sûr les droits d’auteurs dûs 70 années suivant la mort de l’artiste.

Gustave de Stael me raconte l’histoire de ce père qu’il n’a pas connu, il avait un an à sa disparition. 

Le musée d’Art Moderne de Paris crée l’évènement avec cette grande rétrospective de Nicolas de Staël, des foules de visiteurs se pressent aux portes du musée.

Florence

Gustave de Staël dans l’atelier de son père

Nicolas de Staël, 

la peinture comme seule issue. 

Attention âmes sensibles ne pas s’abstenir ! 

La bouleversante exposition que le musée d’art moderne de Paris consacre au peintre Nicolas de Staël (1914-1955) ne vous laissera pas indemnes.

  « C’est si triste sans tableaux, la vie, que je fonce tant que je peux. » 

Entre le drame de son enfance et son suicide à l’âge de 41 ans, Nicolas de Staël eut une folle urgence à peindre, à recouvrir ses toiles de couleurs et de matière en superpositions intenses et raffinées, à voir le monde, à « flamber sa rétine », à travailler sans répit pour « faire de mieux en mieux et toujours plus simple », à être libre jusqu’au bout, se refusant à être étiqueté ou enfermé dans une école. 

Fuir la querelle abstraction/figuration de l’après-guerre

L’exposition Nicolas de Staël au musée d’art moderne de Paris réunit plus de 200 œuvres, tableaux, eaux-fortes et dessins, dont plus d’un quart sont issus de collections particulières et montrées pour la première fois en France. C’est une grande rétrospective chronologique orchestrée par les commissaires, Charlotte Barat-Mabille et Pierre Wat. 

L’œuvre de Staël produit un véritable choc par sa puissance et sa fulgurance. Il faut aller l’admirer sans perdre un instant. Comme elle est curieusement sous-représentée dans les collections publiques et que la dernière rétrospective, au musée Georges Pompidou, date d’il y a 20 ans, l’exposition offre l’occasion de revoir certaines idées reçues  sur l’artiste et surtout d’admirer des chefs-d’œuvre, parmi lesquels, le Parc des Princes, (1952, collection particulière) exécuté dans l’allégresse d’un match France-Suède, l’Orchestre, (1953, Musée d’art moderne), le portrait de sa fille Anne, (1953, Colmar, musée Unterlinden), de sublimes paysages dont ceux du voyage en Sicile (1953-1954) et natures mortes (dans la dernière salle);

enfin de prodigieux dessins car on avait peut-être oublié le grand dessinateur qu’il fut.

À la recherche du « chef-d’œuvre suprême qui serait fait d’une ligne et du vide »

Dans les salles du musée, il faut faire l’inverse de ce qu’on nous a appris : 

S’approcher, scruter les tableaux de près. Se laisser happer par la matière pour sentir à quel point sa présence est folle, dense, rageuse, si douce aussi par ses nuances subtiles et ses tonalités renversantes de beauté. 

Devant ces sur-épaisseurs, raclures, plis nervurés, on est submergé par l’émotion, chancelant comme si l’on avait pris une claque magistrale. 

Il faut également accepter la perfection absolue du coup de feutre ou de pinceau, rapide, unique et sans repentir, sur de grands dessins où le blanc règne, Composition (1950), Nu (1952), Arbres, (1954), Etude de profil (1954).

Accepter l’évidence du génie. 

Toute sa vie, Staël se méfiera de la répétition, il ne cessera d’expérimenter, sera dans une frénésie de peindre. 

Vue de l’exposition, première toile à gauche : Nicolas de Staël Fugue 1951-1952 Huile sur toile 80,6 x 100,3 cm Washington, The Phillips Collection The Phillips Collection, Washington, D.C. /

Le découpage du parcours par année et par lieux est très significatif : chaque année, chaque salle offrent un monde en soi. Staël change sans arrêt de style, disloque ou condense les formes, éparpille la couleur en mosaïque, l’épaissit en étalements denses, puis à la fin de sa vie, la dissout dans une légèreté impalpable. 

La question de savoir si sa peinture est abstraite ou figurative n’a pas de sens : elle est extra-sensible, charnelle, sensitive.

L’univers d’un prodige

Menacée par la révolution russe, la famille de Nicolas de Staël s’exile en Pologne en 1919. Le petit garçon a 5 ans. A la mort de ses deux parents, trois ans plus tard, le jeune orphelin et ses deux sœurs sont confiés aux Fricero, une famille d’origine russe installée en Belgique. À 19 ans, il entre à l’Académie des beaux-arts de Saint-Gilles-les-Bruxelles et à l’Académie royale des beaux-arts. 

Il découvre les pionniers de l’abstraction de la génération précédente, Sonia Delaunay, Arp et Magnelli, en 1940, à Nice, où il s’est installé avec Jeannine Guillou. Avec elle, il forme un couple d’artistes qui vit dans le dénuement. Ce premier amour finit par la mort tragique de Jeannine.

Dès 1947, Staël, qui s’est marié avec Françoise Chapouton, s’installe au numéro 7 de la rue Gauguet, près du parc Montsouris. Son atelier est lumineux, il fait huit mètres de hauteur sous plafond. Georges Braque est son voisin et ami. Staël conçoit plusieurs œuvres en même temps, passant de l’huile à l’encre de Chine, de la toile au papier. Les couches de couleur se superposent, laissant apparaître des couleurs sous-jacentes, tel le rouge écarlate qu’il étalera sur son dernier grand tableau inachevé, Le Concert (1955, musée Picasso, Antibes) : prémonitoire flaque de sang du poète. 

Deux salles sont consacrées à l’année 1950  : « Condensation » et « Fragmentation », ce sont ses toiles les plus abstraites. Mais vite, l’artiste revient au paysage. Il peint sur le motif, en Normandie, Île-de-France et dans le midi, puis reprend ses études de paysages à l’atelier. 

Des images de la vie

Bien qu’abstraites en apparence, les toiles de Staël cherchent à traduire des « images de la vie » qu’il reçoit, dit-il, « en masses colorées ». La découverte de la Provence est pour lui une double révélation : la lumière ! 

 Et Jeanne ! 

En 1953, sur les conseils de son ami, le poète René Char, il s’établit en effet dans le petit village de Lagnes près d’Avignon; c’est Char qui lui présente Jeanne Polge. Il en tombe éperdument amoureux, mais Jeanne est mariée et mère, elle refuse de tout quitter pour lui. Un amour impossible. Il déménage au Castellet, maison magnifique, en proue de l’un des plus beaux village du Luberon, Ménerbes.

Vue de l’exposition avec au premier plan à gauche : Nicolas de Staël. Arbres, 1954. Pinceau et encre de Chine sur papier 108,5 x 75 cm. Collection particulière

La Sicile où il se rend avec sa femme et ses enfants, l’été 53, fait l’objet d’une salle où toiles et croquis du temple d’Agrigente sont stupéfiants. Il dessine sur le vif, rapide, va vers l’épure, laissant le blanc du papier faire irradier le dessin.

En 1954, son avant-dernière année, sa production s’intensifie : l’exposition chez Paul Rosenberg à New York en février 1954 est un grand succès, l’artiste prévoit une nouvelle exposition parisienne chez Jacques Dubourg. Dans cette urgence, sa peinture s’allège, renonçant à l’épaisseur au profit de la fluidité. Il bouge encore, voyage entre le Nord et le Sud, faisant escale à Paris, pour finalement occuper un dernier atelier sur les remparts d’Antibes, face à la la mer. C’est du haut de son toit-terrasse qu’il se jette dans le vide, le 16 mars 1955.  

Cet écorché vif à la beauté renversante avait dédié sa brève vie à la peinture car il n’avait pas d’autres moyens d’exprimer ses émotions, son intranquilité, sa souffrance. 

« Toute ma vie, j’ai eu besoin de penser peinture, de voir des tableaux, de faire de la peinture pour m’aider à vivre, me libérer de toutes les impressions, toutes les sensations, toutes les inquiétudes auxquelles je n’ai jamais trouvé d’autres issues que la peinture. » 

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